Les Vampires (épisode 6 : Les yeux qui fascinent) de Louis Feuillade - 1915
On va de sommets en abysses avec cette série, mais je dois reconnaître que ce 6ème épisode est de loin le meilleur jusqu'à maintenant. Etrange de voir comment Feuillade peut laisser certains épisodes partir en sucette, et se permettre dans d'autres des choses passionnantes. Dans Les yeux qui fascinent, on s'extasie plus d'une fois : d'abord devant la trame, enfin un peu complexe, qui manie plusieurs intrigues précieuses avec une bonne maîtrise. On passe de petits paysages de campagne en chambres obscures, et on suit les aventures d'une bonne dizaine de personnages. Bon, il est vrai que, parfois, la construction et le montage n'arrivent pas à suivre cette subite complexité : la simultanéité des actions pose de gros problèmes à Feuillade, et il y a notamment un passage où le personnage met une bonne dizaine de minutes à traverser un couloir de 5 mètres de long. Mais tout de même : tout ça conserve une très bonne dynamique d'ensemble, le scénario se permettant même, ô audace, un flash-back durant les guerres napoléoniennes !
Très jolie séquence que celle-ci d'ailleurs, malgré le côté cheap du filmage et de la reconstitution. il devait y avoir un costume Second Empire qui traînait dans un coin du studio, Feuillade s'en empare et invente des petites scènes hilarantes, à base de corrida. On voit quand même un taureau courir comme un dératé derrière un cavalier, ça c'est de la cascade. Et puis une mise à mort du bovin, filmée frontalement, 30 ans avant Franju, il fallait oser. La mort et les éxécutions sommaires prennent d'ailleurs de plus en plus de place dans la série, ce qui n'est pas dommage, puisqu'on la prend de ce fait enfin au sérieux.
Autres bidules remarquables : un travelling arrière cahotique et vraiment audacieux sur une cavalière dans la forêt (on sent chaque caillou du chemin, la caméra devait être foutue après ça) ; de très jolis passages de comédie, avec l'approfondissement du fameux personnage de Mazamette, décidément vrai héros de la série ; un jeu formellement formidable sur l'obscurité et la lumière lors du cambriolage nocturne d'Irma Vep ; et surtout cette scène magnifique où une pièce, filmée comme d'hab en plan fixe et neutre, s'emplit petit à petit de dizaines de personnages : on se croirait dans la fameuse séquence de A Night at the Opera des Marx Brothers (je vous mets les photos pour vous prouver la chose). Bref, un épisode vraiment enlevé et intéressant, qui plus est fort en rebondissements narratifs (de l'hypnose, l'enlèvement d'Irma Vep, une amourette qui débute, une carte au trésor, et la mort du chef des Vampires, diable). J'adhère.