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17 mai 2009

Je rentre à la Maison de Manoel de Oliveira - 2001

maison1Il paraît que la sagesse vient avec l'âge, et ça semble se confirmer avec cet émouvant film du nonagénaire Oliveira : sans aucun effet voyant, avec une sobriété totale, il parvient à faire toucher du doigt une chose éminnemment fragile et indicible : le temps qui passe, la vieillesse, la joie et la simplicité d'être simplement au monde. Je rentre à la Maison est un film en dentelles, tellement fragile, tellement ciselé, tellement délicat qu'on a peur qu'il casse à chaque nouvelle séquence : il ne casse jamais, ne se départant en aucun cas de sa luminosité et de sa modestie, tout en utilisant quand même une mise en scène impressionnante.

A travers le personnage d'un acteur vieillissant interprété par le sublime Piccoli, on assiste à la vie quotidienne d'un homme qui vieillit. Au début du film, il perd femme et enfants dans un accident, et se retrouve en train de jongler entre les vanités de son métier et la joie d'élever son petit-fils. Piccoli est le K2148_1_galerievieillard enfant par excellence, et c'est une merveilleuse idée d'ouvrir le film sur un quart d'heure de représentation du Roi se Meurt de Ionesco : on y voit cet homme passer de la grandeur de la vieillesse à la naïveté de l'enfance en un clin d'oeil. Avec cette ouverture digne d'un opéra, Oliveira plante son thème, et peut dès lors se laisser aller à des scènes beaucoup moins illustratives pour prolonger son portrait. La promenade de Piccoli dans les rues de Paris est un modèle d'orfévrerie : le gars s'arrête devant un tableau dans une vitrine, s'achète des chaussures, discute avec quelques fans, le tout sans dialogue, avec juste l'enregistrement des bruits de Paris. A chaque instant, on sent la caméra placée au bon endroit pour exprimer la simple joie de cette promenade, et l'épure est ici le maître-mot pour montrer la facilité d'être heureux. Le film suit ce cheminement pendant ses deux-tiers au moins. On y voit pas grand-chose, la force rigolote de petites habitudes (lire son journal tous les matins au même endroit, s'amuser d'un enfant qui oublie systématiquement son goûter), le bonheur de retrouver l'innocence du jeu (la scène de course de petites voitures téléguidées, magnifique), les petits tracas qui ne font jamais une tragédie (on se fait voler sa montre, bon, pas grave). Mais dans ce "pas grand chose" réside toute la beauté de l'existence, et Oliveira et Piccoli, complices comme pas deux, arrivent à rendre concrets cette toute minuscule mélancolie qu'il y a à vieillir.

Mais en parallèle, on voit aussi Piccoli au travail, ses coups de génie, les concessions qu'il refuse de faire, ses doutes. Jusqu'à ce qu'un grand metteur en scène (Malkovitch, parfait en esthète précieux et émerveillé) 00835510_photo_je_rentre_a_la_maisonlui confie le rôle de trop, celui qui va le faire basculer dans la vieillesse définitive. Magnifiques séquences où on sent le trouble arriver par d'infimes touches de pinceau, un texte pas très bien su, un cabotinage en trop, une sieste qui se prolonge comme une petite mort, le tout filmé par les yeux de celui qui contemple l'effondrement : un plan-séquence sublime sur Malkovitch qui assiste à une répétition chaotique. Tout en gardant cet humour chaleureux et cette lumière dans le regard, Oliveira plonge très lentement son film dans le drame, avec une délicatesse qui force l'admiration. En 85 minutes, Je rentre à la Maison nous fait traverser toutes les émotions de la vie, sans bruit, sans crânerie, avec la tranquillité du vieux professionnel qui sait ce qu'il fait et n'a plus rien à prouver. Un film droit dans ses bottes, à cheval entre enfance et peur de la mort. Grand.

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