Une belle Fille comme moi de François Truffaut - 1972
Film plutôt rare de Truffaut, et on comprend qu'il ait tenu à le laisser plus ou moins caché. Une belle Fille comme moi n'est vraiment pas à la hauteur du reste de la filmo truffaldienne, et reste au niveau de la plaisante fantaisie satirique sans jamais qu'on n'y trouve le charme habituel du gars. Pourtant on retrouve la thématique de La Mariée était en noir par exemple : le combat féministe pour la survie dans ce monde de machos profiteurs. Mais ici, Truffaut joue sur les ressorts comiques de sa situation, et finalement renvoie aussi les femmes dans les cordes : personne pour sauver l'autre dans cette amère galerie de portraits caricaturale et ricanante.
Bernadette Laffont, véritable bombe sexuelle toute en gouaille parisienne et en décolleté aguicheur, est une serial-killeuse croqueuse d'hommes, qui utilise ses appâts pour se débrouiller dans la vie. Elle épouse un pov'type alcoolo (Léotard) pour soutirer le fric de sa maman, se maque avec un chanteur ringard (Guy Marchand) pour atteindre la célébrité, couche avec un avocat verreux (Claude Brasseur) pour spolier son mari, et séduit un dératiseur (Charles Denner) pour tuer tout ce petit monde. Dussolier, en intello coincé, sera la dernière victime de cette vamp moderne. Bref, toute la distribution masculine passe entre les griffes de la demoiselle, et Truffaut enregistre tout ça avec un grand rire. Malheureusement, le brave François n'est pas un grand pro du burlesque : à chaque idée de gag, sa mise en scène devient poussive, laborieuse et même souvent très maladroite dans le montage. On dirait que, fasciné lui aussi par so héroïne, il a rangé sa grammaire de cinéaste au placard pour se laisser aller au pur amateurisme, au simple plaisir de filmer la situation.
Bien sûr, il y a encore de très belles choses là-dedans, à commencer par les acteurs, tous très marrants dans la grossièreté de leur psychologie. Encore une fois, révérences au grand Charles Denner, qui teinte d'une poésie magnifique son macabre personnage de dératiseur catho : diction unique, jeu de visage millimétré, il est le doux rêveur idéal et rappelle très souvent Jean-Louis Barrault dans Drôle de Drame. Laffont aussi est très rigolote en parigote pur jus, salope comme tout mais craquante en même temps, vraie photogénie dans la lignée de La Fiancée du Pirate, dont son personnage serait une sorte de prolongement pervers. Dussolier, pour son premier rôle, est vraiment traité en caricature, mais réussit une composition de benêt parfaite (son sourire niais quand il vient attendre Laffont un bouquet à la main...). Il y a aussi parfois de jolies constructions dans les enchaînements de scènes, les actions étant montées d'une manière très cohérente les unes dans les autres, dans un beau mouvement d'ensemble. Ca et là, on reconnaît aussi quelques cadrages très truffaldiens (le plan fugitif, hitchcockien, sur la tour de la cathédrale, les plans coupés par des grilles ou des vitres).
Mais l'ensemble apparaît vraiment laborieux. Ca peine à décoller vraiment, et on reste toujours dans le gentil, dans le bon enfant, alors qu'on souhaite sans arrêt que Truffaut se lâche et aie vraiment le courage de livrer un brûlot social saignant. Un peu coincé pour le coup, le François, qui ne va jamais au bout de ses idées, bien trop gentil pour avoir l'audace de cette cruauté qui sous-tend le film sans jamais exploser. Une belle Fille comme moi apparaît finalement comme un marivaudage sans conséquence, ou plutôt comme un Labiche sans l'insolence, ce que confirment d'ailleurs ces moches décors de papier peint très théâtraux (manque de moyens ou vraie volonté ? on a l'impression que les acteurs jouent devant des palissades). Un théâtre de guignol un peu bourgeois et qui manque de nerfs.
Tout Truffaut : clique et profite