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Shangols
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2 mai 2009

Tout ce que le Ciel permet (All That Heaven Allows) de Douglas Sirk - 1955

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Intrigué par les déclarations d'amour de l'ami Shang (et de Patience) à Douglas Sirk, que j'avoue mal connaître, j'ai envoyé ce mélodrame dans mon lecteur. Tout ce que je peux dire, c'est que je me prosterne dévotement aux pieds des personnes citées plus haut : je ressors plus que bouleversé de ce All That Heaven Allows, qui tient franchement du miracle. Le mot chef-d'oeuvre est peut-être galvaudé dans ce blog ; là, il est plus que nécessaire.

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Comme tous ces films qui vous happent durablement, il est difficile de mettre des mots sur l'émotion ressentie. Dire que c'est un mélodrame flamboyant, dire que tout y est absolument parfait, de la musique aux acteurs, de la mise en scène à la lumière, des dialogues à la construction d'ensemble, ce serait passer à côté de quelque chose d'indicible. Un peu comme dans les grandes comédies musicales qui vous replongent dans l'enfance sans qu'on arrive à mettre le doigt sur ce qui bouleverse, All That Heaven Allows a quelque chose du paradis perdu, et trouve un biais indéfinissable pour questionner les douleurs enfouies, les regrets qu'on a tous au fond du coeur. A priori, rien de nouveau : une femme entre deux âges, bourgeoise enfermée dans les conventions sociales, tombe amoureuse d'un jeune mec pauvre et jardinier de surcroît ; leur amour va-t-il résister aux pressions, au qu'en-dira-t-on, au poids de la famille et du convenable ? N'importe qui en aurait fait un film psychologique quelconque. Sirk en fait un film faussement simple, ravageur dans son fond, éblouissant dans sa forme.

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La composition des plans y est pour beaucoup : Sirk ne recule devant aucune couleur, devant aucun motif, devant aucun excès. Paysages de neige impossibles de douceur, lumières paradisiaques, glamour total des acteurs, tout est luxe, calme et volupté ; jusqu'aux apparitions franchement audacieuses d'un daim pour renforcer cette impression de douceur edenique. Pourtant, tout ça n'est jamais too much : l'univers extérieur n'est que la projection des fantasmes intérieurs de nos personnages. Si Sirk filme les intérieurs bourgeois dans toute la volupté de leur confort, il leur oppose une nature féérique, rêvée, qui a quelque chose des contes pour enfants, immensément nostalgique. Tous les décors sont ainsi, symboliques d'une innocence perdue ou de remords refoulés : un grenier dans lequel on a enfoui ses ambitions, un moulin omniprésent comme une frustration, une tasse de porcelaine qu'on casse et qu'on recolle comme une faute mal assumée, un arbre qui évolue au gré des saisons en même temps que le temps qui s'enfuit. A chaque nouveau plan, on est ébahi par l'intelligence formelle du film, qui ne recule devant aucune idée, même totalement improbable, pour rendre compte de cette profonde douleur d'aimer ou de passer à côté de sa vie. La séquence finale (un homme mourrant, la femme qui l'a aimé, une vitre derrière laquelle on aperçoit un paysage d'hiver et le daim qui hante l'ensemble) est une merveille, comme si l'arrière-plan n'était que la projection enflammée des sentiments des personnages. Sirk rend concrets des éléments purement psychologiques (belle idée d'ailleurs de cette jeune fille adepte de Freud, qui "aplatit" tous les sentiments alors que sa mère est rongée par ses émotions).

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Malgré ces dehors très stylisés, le film est infiniment subtil. Jane Wyman, si mauvaise chez Hitchcock, est ici sublime, dans les minuscules expressions qu'elle arrive à faire passer sur son visage ou dans les simples postures de corps : elle a quelque chose de perdu, d'innocent, et en même temps de fatigué, et Sirk est toujours aux aguets pour assister à cet écroulement. Rock Hudson, filmé en icône, est parfait dans son rôle quasi-symbolique de Thoreau des temps modernes. Toute la galerie de seconds rôles est elle aussi parfaitement maîtrisée. A force de creuser les caractères de chacun avec une minutie d'orfèvre, Sirk parvient à saisir des scènes poignantes qui, en surface, pourraient n'être que banales. Chaque nouvelle séquence va un peu plus loin dans la mélancolie, Sirk faisant mine de filmer le bonheur alors qu'il ne parle que de souffrance.

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Tout ce qu'on pourrait en dire ne ferait que nous éloigner du miracle de découvrir All That Heaven Allows, un de ces films magiques au sens strict dont on sent bien qu'il nous ont transformé durablement et sans prévenir. Assis je suis.

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Commentaires
P
Je l'avais offert à ma voisine pour l'amadouer...elle insiste pour qu'on l'écoute ensemble.... j'accepte....bien belle soirée...<br /> <br /> <br /> <br /> Dans mon top 3 des films à écouter avec une donzelle!
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P
Mélo givré comme une orange de noël, c'est "tout ce que le ciel permet". Un plaisir doux d'un film empreint de nostalgie, qui dénonce morgue et conservatisme, mais qui ouvre la porte vers les regrets et l'espérance. Ca remplit l'âme. Ce Sirk est un bien beau spectacle qu'on aimerait voir plus souvent, comme on dit.
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G
Merci, Patience. Je suis toujours assis plusieurs heures après ma vision de ce chef-d'oeuvre : ça a illuminé ma journée, et je compte bien que l'effet dure encore toute la semaine. Je connais mal Sirk (c'est mon camarade qui a commenté les autres films sur Shangols), mais je vais m'y intéresser de près, sûr.
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P
Difficile de mettre des mots, sans doute, mais vous le faites remarquablement; très beau texte.. Le côté "paradis perdu d'un "film faussement simple, faisant mine de montrer le bonheur, et parlant en fait de souffrance", c'est tellement, tellement juste ! J'admire.. Je ne l'ai pas revu récemment, et je vais le faire vous m'y décidez.<br /> Pas grand chose à ajouter à votre très belle note, sinon, toujours insister encore (je ne comprends plus qui a vu quoi !) sur (au moins!) Imitation of life, A time to love, La Ronde de l'aube, ainsi que All That Heaven et Le Secret Magnifique...
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