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Shangols
REALISATEURS
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20 avril 2009

LIVRE : Conversations avec Luis Buñuel de Tomas Pérez Turrent et José de la Collina - 2008

51isNBxacJLDire qu'interviewer Buñuel sur le sens de son oeuvre est une gageure demeure après la lecture de cet intéressant ouvrage un doux euphémisme. Les deux journalistes qui connaissent les films de Buñuel sur le bout des ongles tentent bien ici ou là des analyses subtiles, mais impossible de tirer les vers du nez du Buñuel qui ne livrerait pas plus les clés de ses films que celle de son coffre. Buñuel passe son temps à botter en touche - "non, ce n'était point mon intention" -, et à trouver presque systématiquement des explications logiques les plus terre à terre possibles pour déjouer toutes interprétations "définitives". C'est un réel jeu du chat et de la souris et c'est finalement assez jouissif de voir comment le réalisateur reste réfractaire - voire même d'une mauvaise foi absolue - face aux saillies des deux hommes, finissant même par lâcher cette petite phrase lourde de sens : "Ce geste n'a aucun sens en particulier, ou peut-être en avait-il un que j'ai oublié. Mais tout doit-il avoir une justification ? Prenez garde, le danger de devenir des cahieristes du cinéma [qui éditent d'ailleurs ce livre, po rancunier] vous guette"... Comme le dit l'un des deux interviewers, gentiment excédé, "J'ai parfois l'impression que ces entretiens devraient s'intituler : Assaut au Sphinx Buñuel".

Chaque film est donc passé en revue et, malgré tout, plusieurs thématiques, plusieurs champs d'intérêt finissent par apparaître dans les propos de ce Buñuel méfiant, voire carrément sur la défensive, mais se prêtant tout de même volontiers au jeu des questions-réponses. Il revient ainsi sur certaines de ses inspirations qui fleurent bon l'influence du surréalisme ("Je me méfie de la raison et de la culture. Dans notre esprit, il y a des images qui apparaissent tout à coup, sans que nous y ayons réfléchi. Dans tous mes films, y compris dans les plus conventionnels, il y a cette tendance à l'irrationnel, à un comportement qui ne peut s'expliquer suivant la logique.") et évoque longuement la "personnalité" de la plupart de ses personnages principaux - qu'il serait souvent dangereux d'identifier avec l'auteur. Il indique notamment son attirance pour les personnages bourrés de contradictions et sur leur évolution au cours du récit ("Presque tous mes personnages subissent une désillusion puis ils changent, en bien ou en mal."). Le maître mot de ces entretiens demeure l'ambiguïté et on sent que Buñuel prend un malin plaisir - notamment lorsque les deux journalistes s'escriment à savoir ce qui relève de la réalité ou du fantasme dans Belle de Jour - à battre en brèche leur analyse sur le sens caché de telles ou telles scènes. Lors de la partie consacrée à Simon du Désert, Buñuel livre d'ailleurs ce qui pourrait constituer son petit secret intime : "Je suis toujours ambigu. L'ambiguïté m'est consubstantielle, parce que je brise les idées reçues, immuables. Où est la Vérité ? La Vérité est un mythe." - beau sujet de philo, moi je dis...

Il est question également au passage de sa relation étrange (étroite et distante à la fois) avec le catholicisme ou de son intérêt pour Sade, de son véritable fétichisme pour les pieds, de la présence presque systématique dans ses oeuvres d'un insecte ou encore de sa véritable passion - notamment dans tous ses derniers films réalisés en France - pour le hasard qu'aucun coup de dé ne pourrait définitivement abolir. Intéressant aussi, sa recherche constante pour débusquer une petite trouvaille pour que chaque scène ait un peu plus de relief, pour teinter d'humour une séquence où se trouve un long discours un peu rébarbatif (en particulier dans La Voie Lactée), ou pour teinter de mystère l'emploi d'un accessoire. On ne saura jamais ce qui se trouvait dans la boîte de Belle de Jour - à chacun d'y mettre ce qu'il veut, c'est ça... - ou dans le sac que portait le héros à la fin de Cet Obscur Objet du Désir - "un sac traînait sur le plateau, je me suis dit qu'il rendrait la scène plus intéressante" - ok, d'accord. Plus Buñuel résiste et plus on se sent finalement au diapason avec notre propre vision personnelle sur ses films et, bien content finalement de ne pas avoir eu à en débattre avec lui, on est prêt à les revoir en boucle avec un oeil constamment neuf. Pourquoi s'en plaindrait-on ? [Merci en tout cas à l'ami Julien pour ce petit cadeau ramené en sous-main de Belgique]

Tout Buñuel : clique

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