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17 avril 2009

L'Évangile selon saint Matthieu (Il Vangelo secondo Matteo) de Pier Paolo Pasolini - 1964

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Assurément un des plus grands films du père PPP, qui trouve là la pierre de touche de son cinéma. Toujours aussi proche du peuple, toujours aussi mystique et terrien à la fois, il livre une vision de la vie du Christ hyper-personnelle, tout en respectant à la lettre les écrits bibliques. Exercice de haute voltige qui consiste à satisfaire les austères gardiens de la bonne parole autant que les croyants ordinaires, et je dirais même autant les athées que les cathos, autant les petites gens que les érudits.

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Raconter le Christ, pour Pasolini, c'est raconter un peuple et un paysage. Du premier, il va extraire des visages surtout, et c'est un défilé de figurants souvent pris dans des poses immobiles, desquels Pasolini extrait un regard, une posture. Ca commence avec la magnifique et simplissime scène de révélation de Marie : d'abord trois plans fixes, l'un sur le visage de Marie étoné, un autre sur celui, fermé, de Joseph, qui doute de sa femme, un troisième plus large sur Marie enceinte ; puis, après la révélation de l'ange, les trois mêmes plans, mais très légèrement différents, qui montrent dans l'immobilité l'acceptation et la joie de Joseph et Marie. Cette grammaire simple et radicale va servir de manifeste esthétique à l'ensemble du film. Ce sont des confrontations incessantes, entre Jésus et ses apôtres, Jésus et les riches, Jésus et le peuple, toujours filmées par les visages, par la disposition des corps les uns face aux autres. C'est magnifique à regarder, d'autant qu'on se demande comment "ça tient", comment, avec un seul procédé ou presque, Pasolini arrive à retracer l'épopée du Christ.

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Les paysages ont également une importance capitale dans le film : derrière les hommes, il y a toujours ces décors incroyables (pris en Palestine, je crois) qui permettent à PPP de décupler l'immobilité de ses personnages. La parole christique prend place au sein d'un territoire autant qu'entre les hommes, et la reconstitution de l'époque, même cheap, enthousiasme par sa véracité et le choix de ses cadres. On filme le désert, les villes antiques, quelques colinnes kiarostamiennes, et c'est tout une imagerie, toute une mythologie, qui se déploient.

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Et puis surtout, il y a le scénario, qui reste toujours très "concret", ne se laisse jamais aller à l'adoration béate. Si l'acteur incarnant le Christ est souvent magnifié par la photo et le cadrage, on a toujours l'impression de rester du côté de la chair, de la vérité, de l'humain. L'icônographie classique est pourtant bien présente, notament par la musique, mélange de sacré (Mozart, Webern) et de païen (quelques chansons complètement anachroniques et bouleversantes), et surtout par le rythme du montage : les scènes sont courtes, ramassées, souvent réduites à quelques lignes, et on pense à ces icônes de chemin de croix accrochées dans les églises : un geste, un décor, une parole, suffisent à exprimer un épisode, et le film rend parfaitement justice à la rythmique même de l'écriture biblique, souvent très expéditive. On a donc bien l'aspect mystique de la chose, mais PPP reste un indécrottable partisan de la poésie populaire, et préfère rester au ras de ce petit peuple modeste. Il filme inlassablement les gens, avant de filmer la légende, et du coup Il Vangelo secondo Matteo devient un objet audacieux sur la vision populaire de la vie de Jésus. Certes, on a droit à notre lot de regards tournés vers le ciel, de postures très picturales ; mais les personnages, à commencer par ce Christ très "moderne" dans son physique, sont toujours crédibles, comme trouvés au coin de la rue. De même que les scènes plus amples (le massacre des bébés par Hérode ou la crucifixion), qui sont montrées dans leur violence, sans déifier la douleur. On se met à regretter que cette inspiration n'ait pas suivi PPP toute sa vie, et qu'il ne l'ait pas adaptée à ses films sur Boccace ou Médée.

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Il Vangelo secondo Matteo et d'une ampleur effarante et en même temps ramené aux toutes petites choses de la vie. C'est un film puissant, dont les images restent en tête, et qui traite la religion comme elle devrait toujours être traitée : comme une question humaine, inscrite dans un territoire et dans un peuple. Magnifique.

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