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Shangols
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7 avril 2009

Le Sang des Bêtes de Georges Franju - 1949

Image_10Vous voulez du réalisme ? En voilà. Franju livre ici un film complètement border-line, d'une troublante ambiguité, et incontestablement un des films les plus brutaux et radicaux du cinéma français. Ca commence pourtant plutôt de façon champêtre : une voix off de jeune fille en fleurs, quelques images idylliques des portes de Paris, ses petits trains, son marché aux Puces, ses amoureux qui se bécottent, un petit tableau de Renoir qui traîne... On pense que Franju va nous emener vers ces lieux attachants et populeux, nous servir une sorte de poésie naturaliste à la Carné.

Aussitôt, après quelques plans, le film va nous opposer une violente fin de non-recevoir. Il va être question d'un enfer qui pousse au sein de ce paradis, en l'occurence les abattoirs de la ville. Dès les premiers plans, c'est affreux : un cheval foudroyé par le pistolet, qui fait un bond de 8 mètres avant de s'écrouler raide mort dans le sang de ses prédecesseurs. Puis un équarissage en bonne et dûe forme, commentée par une autre voix off (masculine et Image_13très factuelle celle-là) comme un évènement anodin. Ca calme. La suite va être une succession d'images choc, décapitations de veaux, égorgements de vaches et abattage à la chaîne de moutons. Avec une passion profonde pour les gestes du travail (on pense au Sabotier du Val-de-Loire de Demy, versant apaisé de ce film horrible), Le Sang des Bêtes porte un regard à la fois dégoûté et fasciné sur cette antichambre de l'enfer. Fataliste ("il faut bien manger" dit la voix) et en même temps clairement choqué, Franju laisse filmer même l'insoutenable, quitte à se laisser aller à une certaine complaisance : il filme un foetus de veau abandonné sur un établi, ou monte la voix d'un ouvrier chantant "La Mer" sur des mares de sang.

C'est bien ça qui fait le côté troublant de ce film : qu'est-ce qu'il signifie ? Franju ne le sait sûrement pas lui-même, plus préoccupé par capter la vérité que par la comprendre. Il semble dans un premier temps faire une réelle différence entre la bestialité et l'humain, montrant ces hommes au travail avec une vraie compassion, Image_12laissant la souffrance de la bête dans l'ombre. Mais petit à petit, le film ramène l'homme lui-même à cette bestialité, et humanise pour ainsi dire les animaux, comme si la frontière entre les deux était bien mince. Qui sont ces hommes qui tuent à longueur de journée ? Quelles sont leurs pensées ? Que sont ces bêtes précipitées dans l'enfer ? Ont-elles conscience de leur mort ? Autant de questions que Franju ne pose pas, mais qui apparaissent en filigranne dans chaque plan. La rigueur du filmage, l'absence apparente de jugement ou de sentiment vis-à-vis des images ne cachent pas une empathie gênée de Franju pour ces bêtes, et une angoisse prenante face aux travailleurs de la mort. Au final, une certaine poésie apparaît là-dedans, ou en tout cas une métaphysique étrange : à travers ces étalages de viande fumante encore animée de soubresauts, c'est un vrai questionnement face à la mort qui entre en jeu, une terreur presque mystique. En tout cas, tout ça reste durablement en tête, aussi bien les images insupportables que les sons horribles. Une expérience terrible.

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