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4 avril 2009

Ma Vache et Moi (Go West) de Buster Keaton - 1925

Voilà un petit film qui ne paye pas de mine au demeurant, et qui s'avère être un touchant autoportrait d'une jolie poésie. On savait la propension fréquente de Buster à préférer le sentiment au gag, à privilégier dans ses scénarios poilants des passages uniquement sensibles. Go West joue en plein sur cette inspiration presque mélancolique.

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Si le film fourmille encore une fois de 10000 gags hilarants, ce qui frappe le plus est d'un ordre plus intime : Buster y apparaît en héros totalement solitaire, abandonné au sein d'un monde qui non seulement ne le comprend pas, mais le rejette. Assez troublant de compter les scènes où il est exclu d'un groupe, livré à lui-même, rejeté par tous. Dès le premier intertitre ("Certains traversent la vie en se faisant plein d'amis, d'autres traversent juste la vie"), on sent bien que c'est sur cette solitude que Keaton va jouer, dans une sorte de triste constatation de son statut de star esseulée. Pour mettre en place au mieux cette thématique, il place son personnage au sein d'un univers qui est à peu près à son opposé : le Far-West et son monde viril de cow-boys insensibles. Totalement invisible aux yeux de tous, Buster va se rabattre sur un être tout aussi isolé que lui : une petite vache aux yeux marrons, qui tranche nettement avec le reste du troupeau (elle est franchement craquante). C'est absolument fondant de voir ces deux petits êtres se coller aux basques, l'un venant en aide à l'autre dans ce monde de brutes.

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Keaton sème bien entendu des centaines de trouvailles dans son film, utilisant à merveille chaque minuscule détail de son décor et de sa situation. C'est une succession non-stop d'idées visuelles, parfois minimales (poum il se prend la manivelle du puit sur la tronche), et on se marre vraiment avec tendresse devant les maladresses de ce personnage inadapté. Toute la première partie dans le ranch est à mourir, avec une préférence pour cette séquence où on envoie le gars traire une vache : il fout le seau sous la bête, et s'assied sur un tabouret en encourageant la vache. Parfois sa maladresse se transforme en brio, malgré lui, toujours sans la brutalité revendiquée par ses congénères (il arrive à faire rentrer deux taureaux furieux dans le coral avec une innocence effarante).

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Mais c'est sur le thème de la solitude et de "l'inaperçu" qu'il convainc définitivement. Pour imposer sa présence au monde, il va devoir provoquer l'excès total. Quand on connaît Keaton, on sait qu'il est aussi bien maître dans l'art du minuscule que du grandissime : ici, c'est une troupeau de 200 vaches qui débarque en plein San-Francisco. Là, Keaton trouve le point d'orgue de sa réflexion sur lui-même. Pour que les gens le remarquent enfin, il va devoir semer l'anarchie dans les rues, déguisé en diable gesticulant devant ses bêtes. Toute la société prend enfin conscience de son existence et de ses capacités, dans un magnifique summum visuel. Si quelques-uns menacent encore son intégrité, il a vite fait de les calmer avec son revolver, et la réussite est totale. Même si certains gags sont un poil redondants, la mise en scène est toujours très vaste, tout en préservant cette fragile intimité du personnage. L'autoportrait se prolonge dans une troublante scène où un cow-boy l'oblige arme au poing à rire : la légendaire impassibilité de Keaton est menacée, et du coup son intégrité elle-même ; il trouvera une solution grinçante à cette impasse. Keaton est l'homme qui ne rit jamais, même si ça emmerde ses contemporains. Au final, quand il aura le choix entre la société (représentée par une gironde jeune première) et l'exil (représenté par sa vache gentille), il optera pour ce dernier, dans un pied-de-nez ultime à ses persécuteurs. Un très beau film léger en surface et troublant en profondeur.

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