Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
1 avril 2009

Expérience (Tadjrebeh) et autres courts d'Abbas Kiarostami - 1973

Grande idée que de ressortir au ciné ce premier long-métrage du père Abbas, et surtout de le mettre en regard avec les deux sublimes courts-métrages, La Récréation et Le pain et la Rue. Ca permet de constater qu'avant d'être le brillant auteur conceptuel d'aujourd'hui, Kiarostami fut un cinéaste de la simplicité et de l'enfance, et qu'il a su être bouleversant dans d'autres domaines que celui de l'expérimentation pure.

l_experience_hautIl y a du Rosselini dans ce Expérience : un filmage au bord du documentaire, qui suit au plus près un petit personnage pour mieux donner à voir un Téhéran presque fantasmé, vu à sa hauteur. L'Iran moderne y apparaît étrange, confiné souvent à ses quelques murs torves, mais avec la présence constante d'un urbanisme grandissant. Et puis, corollaire indispensable, l'émancipation des moeurs est présente, même si, comme dans beaucoup de films de AK, on se rend surtout compte du chemin restant à parcourir pour que les générations s'entendent. A travers les minuscules aventures de Mohammed, ado courageux et mignon que personne ne semble respecter, c'est un portrait de la société iranienne toute entière que propose le film : monde des adultes opaque et austère, qui considère l'enfant comme un valet un peu encombrant, rapports garçon-fille dignes d'une épopée, monde du travail ardu... Kiarostami filme un arton5663_7cf98grand roman d'apprentissage en multipliant mille petites anecdotes innocentes, qui finissent par donner à voir un monde bien cruel : Mohammed va de déconvenues en humiliations (le seau d'eau renversé alors qu'il lave les escaliers est une catastrophe qui bouleverse), d'échecs en espoirs, le tout dans une atmosphère oscillant sans cesse entre drame social et comédie légère. On ne sait pas trop si on doit rire devant ces petites mines prises par le bambin quand il croise la fille de ses rêves, ou s'indigner devant ce patron immonde qui le gifle sans arrêt. Kiarostami est toujours sur le fil entre tristesse et bonheur, ne tombe jamais dans le mélodrame social, mais dresse un constat très amer de ce monde des enfants que les adultes ne voient même plus.


Plus léger, Le Pain et la R18996644_w434_h_q80ue (Nân va Koutcheh - 1970) est une tentative formelle impressionnante qui consiste à filmer un micro-évènement comme s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort. Un môme doit rentrer chez lui, mais un méchant chien lui bloque le passage : comment faire ? Avec une grande compréhension de ce que sont les malheurs de l'enfance, Kiarostami manie un humour à la Tintin en même temps qu'un sentiment de désespoir étrange. Cet enfant est seul au monde, avec personne pour l'aider (les adultes passent sans voir sa détresse), et petit à petit, là aussi, la révolte s'insinue dans cette comédie sans conséquence. Le petit gag final n'efface pas la sensation d'avoir assisté à un mini-drame. La mise en scène est impeccable de précision, Kiarostami restant toujours au plus près de la sensation enfantine, avec une tendresse profonde.


Pour continuer, un chef-d'oeuvre : La Récréation (Zang-e Tafrih - 1972). Ca commence sur un enfant prostré dans l_experience_4un couloir d'école. Un adulte sans visage s'aproche, on le voit engueuler le môme sans qu'on entende de quoi il s'agit. Puis le flou se fait sur la scène (on devine que le prof frappe le petit) pour cadrer sur une vitre brisée, et on apprend que le gamin vient de péter la vitre avec son ballon. A partir de cette introduction prodigieuse, Abbas va mettre en place un véritable enfer pour ce pauvre bambin : alors qu'il veut jouer au foot, il se fait poursuivre par des gamins bagarreurs ; obligé de suivre des petits chemins pour rentrer chez lui, il se heurte à la route nationale qui lui interdit tout passage ; même traverser un petit cours d'eau devient une épreuve impossible. Dans la variation des plans, dans la multiplications des plongées, dans cette façon toujours signifiante de placer sa caméra face à l'obstacle, Kiarostami filme une enfance définitivement opprimée et incomprise. Le petit interprète est d'une justesse sidérante, et ce film vous plonge dans une colère sourde contre ce monde affreux qui ne sait pas écouter les enfants. Avec rien du tout, un ballon crevé, un regard, une petite course dans la campagne, Kiarostami réalise son 400 Coups à lui, tragique et sublime.


Deux Solutions pour un problème (Dow rāhehal baraye yek massaleh - 1975) est ce qu'on peut appeler un vlcsnap_170771film pédagogique. Tout comme les autres films d'Abbas à cette époque, me direz-vous, mais celui-ci est quand même beaucoup plus frontal. A partir d'un cahier déchiré, deux copains d'école font leur choix : ou ils se mettent sur la gueule, déchirent leurs vêtements et deviennent ennemis jurés ; ou ils dialoguent, reconnaissent leurs erreurs, et finissent copains comme ci-devant. Il y aurait là-dedans comme une tentative de parler aux enfants des conflits mondiaux que ça ne m'étonnerait pas. Le message est naïf, certes, mais noble, et puis Kiaro filme ça joyeusement. Une voix off très logique qui décrit les choses avec entrain, une succession de vignettes rigolotes, une vitesse d'éxecution délicieuse, et un humour bienvenu. Avec même au menu un tableau noir séparé en deux colonnes, qui montre scientifiquement ce qu'on perd à entrer en conflit avec l'autre : son cahier, son cartable, sa règle, son pote... Y a pas photo, c'est plus sympa de dialoguer.


Le Choeur (Hamsarayān - 1982) n'est pas forcément le meilleur court d'Abbas, mais il est délicieux quand même. Un pépé sourd se déconnecte des fâcheries de ce monde (bruit de marteau-piqueur, plaintes d'un vlcsnap_94777commerçant) en débranchant son oreillette. Dans le silence, il peut tranquillement déguster ses radis et boire son thé. Mais ses petites-filles qui rentrent de l'école voudraient bien qu'il leur ouvre la porte. Leurs hurlements se transforment en réunion de gamines sous la fenêtre du vieux. C'est tout. Il y a peut-être une allégorie là-dessous (rester sourd aux soucis du monde moderne et ouvrir l'oreille aux beautés de l'enfance, par exemple), mais ça reste très en surface. Et c'est tant mieux. Kiarostami joue avec les contre-jours et les clairs-obscurs pour nous présenter le monde presque idéal du papy, et les oppose à l'énergie rigolote des gamines, et du coup on est à cheval entre deux mondes attachants. Le film est empreint de sagesse et de simplicité, et ne dit rien de plus que ce qui est montré. Une tranche de vie énergique, mise en valeur par un montage binaire d'une très belle épure (sobre alternance intérieur/extérieur). Un essai sans conséquence et tout mignon.

Commentaires
Derniers commentaires