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14 mars 2009

Le Goût de la Cerise (Tam-e gilās) d'Abbas Kiarostami - 1997

S'il n'a pas encore la radicalité splendide de Ten et de Five, Le Goût de la Cerise en prend bien le chemin : extraordinaire, même 10 ans après et même quand on commence à connaître le cinéma du père Abbas, de redécouvrir ce film ambitieux et rigoureux. Kiaro est définitivement l'auteur du cinéma le plus contemporain et nouveau de ces dernières années, et cet opus est idéal pour s'en rendre compte.

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Même s'il reste fidèle à ses inspirations, Abbas décide pourtant cette fois-ci d'abandonner les trames presque "traditionnelles" de ses films précédents, pour vider totalement Le Goût de la Cerise de la moindre narration : le personnage principal veut se tuer, on l'apprend assez vite, mais rien de ses raisons, de son passé, de sa tristesse ne sera dévoilé. L'important n'est pas de savoir pourquoi il veut se suicider, mais comment il va trouver quelqu'un d'assez concerné par son malheur pour enterrer son corps. Que recherche vraiment Mr Badii ? Sûrement quelques bribes de beauté, sûrement un être humain, et peut-être la confirmation de la validité de son choix ; en tout cas, pas de consolation, même s'il écoute attentivement les autres tenter de le dissuader de se tuer. L'opacité du personnage, superbement induite par le jeu subtilissime de Homayun Ershadi, reste entière jusqu'à la fin. Et quand le film va devenir trop narratif, Kiaro le clôt sur une interrogation risquée, qui laisse le spectateur face à sa propre explication.

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Le Goût de la Cerise est en même temps imprégné de cette ambiance crépusculaire (les dernières heures de la vie d'un homme) et d'un amour de la vie et de la nature irrépréssible. La mise en scène radicale et presque mathématique ne fait pas oublier la finesse du cinéaste quand il s'agit de cadrer un paysage, de faire entendre un son naturel ou de regarder un être humain. Le film est tourné vers la vie, mais sans moralité ou jugement sur la décision du personnage. Le discours peut sembler parfois naïf (notamment dans le prêche du taxidermiste qui raconte justement l'importance du "goût de la cerise" dans la vie), mais il prend place dans une installation formelle si épurée qu'il passe magnifiquement. Le grand truc, c'est de nous mettre à la place du témoin, spectateur de cinéma en même temps que de Mr Badii. Les gros plans sont nombreux qui nous font prendre la place du passager du 4x4, contemplant dans la durée cet homme mutique et les paysages qu'il traverse avec une grande "moralité de regard". Kiaro nous oblige à avoir une opinion sur Mr Badii, simplement par le fait qu'il nous montre le même univers que lui (vous me suivez ?).

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Le film est splendide visuellement, non pas tant à cause des cadres ou d'un travail particulier sur la lumière, que par l'objectivité calme avec laquelle Kiaro nous montre cet Iran. Qu'il filme une jolie colline, une petite route tortueuse, un arbre isolé, ou le plus austère décor d'une cimenterie, il nous laisse le temps de jauger chaque cadre pour en tirer une sorte d'opinion de notre part. La voiture de Mr Badii sert de rail de travelling : au lieu de poser sa caméra sur le toit, Kiarostami la place à l'intérieur, et se sert du cadre de la fenêtre comme d'un second écran qui focalise, qui donne une image parcellaire du monde. Quand il sort de la voiture et capte ces immenses plans larges sur un paysage, la beauté saute aux yeux. Le dispositif pourrait être simpliste, mais Kiaro utilise ce principe avec une énorme variété de mise en scène : des champs/contre-champ sans cesse renouvelés, une alternance intérieur/extérieur très musicale, de longs plans séquence qui fouillent jusqu'à plus soif un coin de décor, ou quelques jolis cadres symboliques (l'ombre du personnage sur un éboulement de cailloux), le regard est sans cesse renouvelé. Cette mise en scène est finalement très complexe, amenant quelques plans vraiment virtuoses (le gars au volant qui regarde un homme téléphoner, puis qui fait faire un demi-tour à sa voiture pour cadrer l'homme en question sans coupe, formidable).

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Cette beauté et cette complexité formelle ne tombent jamais pourtant dans l'illustration bête, et Kiaro fait preuve ici d'une audace radicale bluffante. Ne serait-ce que par les dialogues, répétitifs et presque plats, ou par cette construction en trois phases quasi-identiques qui prend le risque de perdre pas mal de spectateurs. Du grand grand cinéma complexe sous une apparente simplicité, profond et magnifique.

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Commentaires
N
C'est une erreur de ma part je n'avais pas vu. Je m'excuse merci.
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S
Vous déplorez, Nathan, mais vous avez tort car elle est belle et bien là. Cliquez sur Kiarostami et la trilogie - sur la seconde page - apparaîtra !
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N
Je déplore l'absence de la trilogie de Koker alors que c'est sans doute sa plus belle oeuvre.
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