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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
3 novembre 2020

Deux Anglaises et le Continent (1971) de François Truffaut

Voilà un film qui a forcément tout pour me plaire : la seconde adaptation d'un roman d'Henri-Pierre Roché par le sieur Truffaut. Echec aussi bien critique que public qui peina beaucoup Truffaut et sur lequel il tenta de retravailler le montage jusqu'au bout. Certains films, il faut l'admettre, sont tellement "hors du temps", hors des modes qu'on a l'impression qu'ils ne pourront jamais s'imposer totalement et ce à cause d'un je-ne-sais-quoi pas forcément toujours évident à définir. Truffaut, qui avait le sens des formules, parlait, à propos de ce film, de la rencontre "d'un jeune Proust avec les soeurs Brontë" - aspect forcément éminemment littéraire qui peut intimider - ou encore non pas d'un film sur l'amour physique, comme c'était le cas pour Jules et Jim, mais d'un "film physique sur l'amour" : derrière cette jolie formule un poil sibylline on devine sa volonté de plus insister sur les déchirements amoureux, les désillusions, les impasses, les doutes que sur la réelle concrétisation d'une love story qui laisse éclater son bonheur au grand jour. Tout se joue plus ici dans les mots que dans les actes, dans le for intérieur que dans les caresses et pourtant on ne peut reprocher à Truffaut de ne point traiter frontalement certains sujets sexuels généralement assez tabous au cinéma et en tout cas assez surprenants dans son oeuvre, connaissant son éternelle pudeur : la masturbation féminine (séquences gonflées de l'initiation entre deux petites filles) et la perte de la virginité (rarement vu des ébats aussi évocateurs dans la longueur (traités malgré tout avec toute la délicatesse et encore une fois la pudeur truffaldienne) et des draps aussi crûment teintés de rouge (on pourrait également parler, au passage, de la séquence d'une grande sensualité ou Léaud pose sa main sur le sein de Ann...)). Il s'agit d'histoires d'amour tragiques au sens presque antique du terme : malgré tous les obstacles que les personnages parviennent un à un à franchir, il y a comme une fatalité qui empêche d'aller jusqu'à l'éclosion réelle de ce bonheur, comme si les êtres eux-mêmes finissaient par se construire leur propre barrière (un genre de Deus in machina, voyez...)

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Rien ne m'enlèvera de l'idée, pour commencer par une réserve de poids, que Jean-Pierre Léaud a du mal à trouver sa place au sein de ce film. Comme Truffaut se sent personnellement très proche de Roché, admire son écriture (qu'il compare à celle de Cocteau ou de Morand -je suis aux anges, Gols m'envoie au diable), on peut comprendre qu'il ait eu envie de confier ce rôle "de composition" à son alter ego cinématographique qui, jusque là, incarnait parfaitement le personnage d'Antoine Doinel. Mais le jeu du Jean-Pierre est trop affecté, trop décalé, presque trop "moderne" par rapport à l'atmosphère générale de cette oeuvre ; je m'explique, si, si j'y tiens : Truffaut laisse une place de choix au style de Roché - multiples voix off que Truffaut, à la place de Léaud d'ailleurs, lit lui-même -, les images d'Almendros sont époustouflantes (la nouvelle version DVD rend beaucoup plus hommage à la luminosité des séquences en extérieur que la version VHS - à moins que ce soit mon souvenir qui ait tendance à assombrir ce film... ), la partition de Delerue à la fois légère et teintée d'accents plus sombres est impeccable, les deux actrices Kika Markham et Stacey Tendeter -tout comme les deux mères - sont irréprochables dans leur finesse de jeu, tout contribue à être au diapason de cette ambiance début de siècle et le jeu de Léaud (qui tend peut-être à s'améliorer sur la fin) dénote un peu dans ce parfait concert artistique (j'adore et admire Léaud, attention... mais il peine ici à trouver ses marques, c'est en tout cas mon sentiment...).

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Le film de Truffaut rend parfaitement compte de ce perpétuel ballet amoureux qui se joue entre les trois personnages ; la petite saynète du "citron pressé" - le corps de Léaud balancé entre le dos des deux Anglaises - annonce les multiples balancements du coeur, les chassés-croisés amoureux, les rencontres physiques et les "arrière-pensées" des principaux caractères. Les journaux intimes, la correspondance épistolaire prennent bien sûr une place de choix dans ses tourments qui peinent à s'exprimer - sûrement à cause de l'éducation très puritaine des jeunes filles, la volonté de ne point blesser (même si cela est discutable, passons sur la vie de Roché lui-même...) ou encore la trop grande liberté sentimentale du personnage de Claude - même s'il représente le "continent", il a tout de même bien du mal à rester en place - physiquement et sentimentalement - alors que les deux jeunes filles "insulaires" semblent beaucoup plus "enfermées" et résolues dans leur décision, leur "inclination". Il y a tout de même quelques très jolis moments de calme - la semaine sur la petite île entre Claude et Ann notamment - mais l'on sent que Truffaut insiste plus sur "l'usure du bonheur", son érosion que sur sa plénitude (sujet foncièrement pessimiste, définitivement ultra romantique et qui forcément séduit difficilement).

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Je pourrais citer d'innombrables phrases rochéennes - j'ai un peu peur de vous endormir quand même ou de vous lasser, nan ? -, certaines dans le film étant d'ailleurs tirées de Jules et Jim (la comparaison entre les mouvements de la rivière et les trois personnages, entre autres) mais je vais me limiter à trois ou quatre qui m'ont "ému" - terme qui semble presque d'un autre temps, souvent répété dans le film - lors de cette nouvelle vision (bon, de mémoire, j'ai po pris de notes non plus) : Muriel tente d'oublier Claude et "certains soirs, elle se disait qu'elle n'avait pas pensé à lui de la journée" - je vous laisse apprécier le paradoxe ; "Ils se firent des adieux qui durèrent toute la nuit" - faire l'amour ne fait pas partie du vocabulaire littéraire rochéen...; à propos du personnage de Claude qui n'a pas vu Ann depuis longtemps : "Il la souhaita profondément" - mon amour pour les adverbes doit dater de mes lectures d'HPR... Bon ce sont quelques phrases glanées au hasard qui n'ont rien de vraiment spectaculaires, mais lisez ou relisez Roché (ses journaux intimes, j'ai des actions chez André Dimanche), voyez ou revoyez ce film, ils méritent beaucoup plus que leur soi-disant "réputation" maudite et que tout ce que je pourrais en dire.  (Shang - 09/02/09)

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Bien longtemps que je ne m'étais pas tapé ce film, qui était resté dans mon souvenir comme un film un peu poussiéreux de Truffaut, assez austère, pas passionnnant. Il me faut aujourd'hui faire mon mea culpa car, si la chose continue de ne pas m'emballer outre mesure, il m'a fait passer un délicieux moment hors du temps, la même impression que quand on lit un roman de Jules Verne ou d'Agatha Christie : plus personne ne fait ça, mais là est justement le charme. Je suis bien conscient d'arriver ici sur les terres shangiennes, le spécialiste planétaire de Roché, et je ne me permettrai que quelques notes supplémentaires sur son texte détaillé et parfait. D'abord pour dire que j'ai eu quelques sueurs froides quand je me suis aperçu de la grave erreur de casting de Jean-Piere Léaud ; je pensais que c'en était fini, que Shang allait me provoquer en duel sur le champ, et je me rends compte qu'il avait la même impression. Trop de fantaisie, trop de décalage oui, dand le jeu du gars (qu'on est pourtant tous les deux à mettre dans le peloton de tête de nos acteurs préférés), effet peut-être recherché par Truffaut (genre amener une distance sur son histore fiévreuse), mais c'est raté.

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Le plus grand charme vient de l'aspect hyper littéraire du film. L'écriture de Roché est gentiment désuète, remplie de formules très jolies et de tours de passe-passe grammaticaux que plus aucun écrivain ne se permettrait aujourd'hui. Et les timides comportements de tous ces personnages, qui se tournent autour, qui poussent des soupirs, qui, quand ils se touchent, se pâment pendant trois heures, qui s'écrivent des lettres définitives ou considèrent comme une émotion ultime de faire une petite balade dans les rochers avec l'élu(e) secret(e) de leur coeur, sont eux aussi les témoins d'une autre époque ; ce que le prude Tuffaut prouve en filmant les choses du sexe comme un truc étrange et indicible : la célèbre tâche de sang quand la jeune fille est déflorée est tout de même un poil too much. Tout ça est pris dans un tourbillon de mots, souvent en voix off, qui viennent d'ailleurs raconter ce qui se passe en sous-texte, puisque les comportements des personnages en surface sont tout de pudeur et de politesse. Pourtant, mine de rien, ça raconte un trio amoureux, avec deux soeurs qui plus est, rempli d'érotisme, de fièvre, mais jamais Truffaut ne laisse les images dire ça, préférant en grand lecteur que les mots suppléent aux images. J'ai eu un peu de mal à m'extasier pour l'histoire, c'est vrai, mais on a quand même là quelques séquences magnifiques, ponctuées par la langue grand crin de Roché, Truffaut se chargeant de tout ce qui est suggestif dans le scénario : des petits regards, des gestes esquissés, des pièges à deux balles pour se rapprocher de l'autre, bref toute une petite musique de l'amour précieux encore fortement ancré dans le XIXème siècle, incarné ici bellement par ces jeunes comédiennes jolies comme des coeurs. Pour le reste, relisez le texte de Shang.   (Gols - 03/11/20)

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Tout Truffaut : clique et profite

Commentaires
A
"détonne "
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A
Et me voilà, gros malin qui voudrait vérifier que le clavier de Shang a bien fourché quand ce clavier écrit que "le jeu de JP Leaud dénote au lieu de détone au milieu de e ce concert artistique". Gros malin, j'en suis bien conscient.
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S
Bon Ok Mitch, vous faites preuve de bonne volonté et voir Vertigo avec Truffaut marque indubitablement des points. On dira alors carton mauve ce qui ne correspond strictement à rien, on est d'accord.
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M
J'assume le carton jaune. C'est vrai, c'est le film qui m'a fait détester à jamais Truffaut. Donc je n'aime pas Truffaut. Yes. J'ose. Nobdy's perfect.<br /> <br /> A part, peut-être, les 400 coups et La Chambre verte. <br /> <br /> En réalité, c'est son cinéma que je n'aime pas. Car j'aime plutôt assez le type, en dépit de tous ses défauts. Je n'oublie pas que c'est en sa compagnie que j'ai vu, pour la première fois de ma vie "Vertigo" à la Cinémathèque. J'occupais juste la place à côté. Nananère. <br /> <br /> Et, ces 2 Anglaises, je l'ai vu à sa sortie au cinéma. On est peu à pouvoir encore s'en vanter. Carton jaune, toujours ...? <br /> <br /> PS: j'aime aussi beaucoup Léaud. Mais pas de cette période. Je le préfère bien avant et bien après.
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S
Mitch carton jaune, Gary une place à notre Panthéon. C'était les promos du jour. Je fus en effet un peu dur avec Léaud que bien sûr j'adore par ailleurs... Et puis comme je le disais en intro, j'ai toujours trouvé touchant que Truffaut travaille jusqu'au bout du bout sur ce film, prenant vraiment à coeur le fait que le film n'ait pas trouvé son public... On est au moins 3
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