La Poursuite Infernale (My Darling Clementine) de John Ford - 1946
Du film taillé dans le bois dont on fait les hommes, qui sent la camaraderie virile et la poudre : comme toujours, travail impeccable de la part de Ford, qui signe là l'archétype du western classique, plein de cow-boys qui font "yyyyiiiiaaaah", de gorettes au grand coeur et de règlements de comptes. La sobriété de la chose ne peut que déclencher l'admiration : pas un poil de gras dans cette histoire au taquet, pourtant déjà vue mille fois. C'est la fameuse légende de Wyatt Earp et Doc Holliday, cow-boys couillus croisés chez Sturges ou Hugues. Les deux gusses, liés par une amitié sans parole qui pourrait confiner à une certaine tendance homosexuelle (mais ce n'est visiblement pas le sujet de Ford), vont se heurter comme d'hab à des bandits épais, et règler leur ardoise à Ok Corral comme il se doit.
A cette histoire maintes fois racontée, Ford ajoute une épaisseur de caractère assez troublante. La scène la plus renversante est sans aucun doute celle où Holliday récite Hamlet à la place d'un acteur trop soûl pour se souvenir du texte. Dans My Darling Clementine, les cow-boys sont des intellos, plus intéressés par la poésie ou la science (Doc Holliday est pour la première fois un vrai docteur) que par les coups de feu, tout ballots quand il s'agit de danser avec une femme ou de se confronter aux sentiments. Coup de génie d'ailleurs d'avoir choisi Henry Fonda pour jouer Earp : il est touchant d'honnêteté et de droiture de coeur, et son aspect juvénile ajoute une dimension candide à ce personnage. Plus que la violence, ce sont ces dialogues entre potes qui intéressent Ford, ou ces petites blagues bon enfant que les garçons réservent aux filles. Le film est presque romantique sous ses aspects virils.
Pourtant la rigueur est... de rigueur, dans la mise en scène carrée du sieur. Constitué à 99% de plans fixes, le film ne cède rien à l'esbroufe, même s'il est au final très impressionnant dans sa maîtrise. Toujours légèrement plus basse que les acteurs, la caméra fait sentir constamment la présence de ces fameux ciels fordiens qui ouvrent des immensités d'espace derrière les personnages. Le paysage est toujours présent, aride, pauvre, mais splendidement mis en valeur par ces cadres profonds et larges. Quand la caméra bouge, c'est de quelques millimètres, pour recadrer les acteurs, comme en s'excusant. Seule exception, notable : la poursuite de Holliday par Earp, splendide moment presque invisible de par sa sobriété. Quand les deux sont loin l'un de l'autre, Ford les montre se poursuivant dans deux directions opposés (Holliday de droite à gauche, Earp de gauche à droite) ; quand ils se rapprochent, ils finissent par traverser l'écran dans la même direction, jusqu'à ce qu'ils choisissent de se diriger depuis le fond jusqu'au premier plan. Ca n'a l'air de rien, mais ce choix de filmage prouve une maîtrise totale de la grammaire cinématographique, qui sait qu'on peut proposer des mouvements illogiques sans que la lecture soit brouillée.
Pour tout le reste, acteurs, scénar, musique, photo, c'est du grand art tout pareil, ce qu'on pourrait appeler un film au taquet. Difficile de trouver une seule faille là-dedans, tant tout semble pensé en professionnel et transmis en toute modestie. C'est ceux qui parlent le moins qui savent le mieux faire, preuve en est faite avec ces 90 minutes droites dans leurs bottes avec éperon.
Go old west, here