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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
22 janvier 2009

Bug de William Friedkin - 2007

18839351_w434_h_q80Pour moi qui ne mise pas grand chose sur William Friedkin, Bug est une énorme surprise : c'est le meilleur film de son auteur, et de loin, le gars prouvant enfin à 70 berges quel grand metteur en scène il aurait pu être.

Tout satisfait dans Bug : délicieusement anxyogène, travaillant sur une tension tenue avec une finesse remarquable, faisant appel à une paranoia collective que Friedkin vient traquer au fond du coeur de son spectateur, il fait deux fois plus peur que la plupart des films d'horreur. L'angoisse monte très lentement, sans effet, sans "évènement" particulier, et suit une courbe équivalente à celle de l'humour, ce qui est une gageure incroyable. Car Bug est avant tout un objet de dérision tout en excès : excès de jeu (deux acteurs immenses dans la démesure, Ashley Judd et Michael Shannon), excès de mise en scène (Friedkin ne se refuse rien en termes de contre-plongées étouffantes, de lumières bleues glaciales), excès de situation de trame. Sur un sujet résolument barré (les expériences imaginaires ou réelles de l'Etat sur le corps d'un ancien combattant l'amènent à un délire à base d'insectes-espions...), Friedkin sait aussi bien faire rire que faire peur, et livre un film formellement génial et profondément intelligent.

18839323_w434_h_q80Les entrées sont multiples, mais le film travaille d'abord sur le sens de l'amour, ni plus ni moins, en montrant une femme irrésistiblement attirée par les délires paranoiaques de l'homme qu'elle aime. Bug trouve une façon très concrète, très directe, de parler de la passion amoureuse. "Je préfère parler d'insectes avec toi que de rien avec personne", dit la femme à son amant fou furieux, et effectivement c'est bien de lutte contre la solitude dont le film parle en premier lieu. Aimer, c'est comprendre, c'est accepter, c'est partager : pour montrer ça, le scénario ose la frontalité et la déviance. Bug isole petit à petit ces deux personnages fusionnels, gommant les personnages secondaires pour se concentrer sur cette lente "maladie" qu'est la passion. La scène finale, où les deux amoureux se retrouvent en totale osmose dans la folie, atteint une beauté presque gothique, une atmosphère macabre et fantastique à la Baudelaire, je pèse mes mots.

18614630_w434_h_q80Il y a aussi un arrière-fond politique tout à fait bienvenu, et si dérangeant qu'on en vient soi-même à épouser les visions hallucinées du "héros" : il revient de la guerre du Golfe, et visiblement les séquelles sont intérieures. La longue explication de ses pensées tient méchament le coup, et on en vient à se demander si après tout il n'aurait pas raison. Ce que Friedkin nous souffle astucieusement, en laissant plusieurs éléments de son scénario non-expliqués (le téléphone qui sonne sans arrêt, la disparition d'un enfant), comme si effectivement une menace existait réellement. Le monde d'aujourd'hui vu par Friedkin est un monde plein d'anxiété, de secrets d'état, de menaces minuscules, et on pense souvent à Cronenberg dans cette façon d'amener le danger par le biais de la mutation génétique et de la science.

18614631_w434_h_q80Et puis les rythmes de mise en scène sont impressionnants. Bug utilise les silences, les décors, les angles de caméra, avec simplicité, mais aussi avec une maîtrise bluffante. Le film suit une sorte de courbe simplissime, qui nous emmène en un seul mouvement rapide vers le coeur de ses personnages, vers le centre d'un sujet malaisé et complexe. Malgré le calme apparent de l'ensemble, on a l'impression, à la fin, de sortir d'un long hurlement anarchiste et punk. Pourtant, pas de musique tonitruante, pas d'effets sanguinolents, pas de monstres cachés dans les coins, pas de sursaut de surprise : tout se fait dans le calme effrayant d'un destin inscrit au sein même du film. Un grand moment de manipulation. Respect servile.  (Gols 10/07/08)


18712329On a tous quelque chose en nous de paranoïaque, on a tous quelque chose en nous qu'on aimerait pouvoir partager avec quelqu'un, et pour ce qui est de ces deux angles, Friedkin réalise en effet un des films les plus fondus et les plus inspirés qu'on ait vus depuis longtemps (le dernier gros souvenir en date restait l'univers barré de Spider de Cronenberg). Adapté d'une pièce de théâtre, le film a conservé ce découpage en acte, mais chaque ellipse, chaque trou dans le récit d'une séquence à l'autre est en fait un vrai régal : on ne sait jamais en effet dans quel univers on risque d'être ensuite "projeté"... On commence dans une certaine torpeur, une pauvrette histoire d'amour qui tente de voir le jour, une menace qui plane sur l'héroïne (qui en consomme po mal, m'est avis...) en la figure de son ex-mari azimuté (Harry Connick Jr dit le beau "Goss", un poil nerveux et violent) mais l'atmosphère est somme toute plutôt tranquille. Friedkin joue quand même sur nos nerfs, avec une belle maestria, sur la bande-son, on se surprend plusieurs fois à sursauter alors que c'est juste une clim qui respire, un bidule au plafond qui se détraque, une bagnole qui passe. Et pis bon, un moment ou un autre, va bien falloir que cela dérape...  La plus grande qualité du film est de nous tenir en suspens sur justement la provenance de la folie : est-ce ce monde extérieur constitué de "machines" qui ne s'arrêtent jamais de tourner, d'expérimentations en tout genre, de folie meurtrière (de la guerre en Irak à la jalousie de l'ex) ou est-ce que les 250 bazars de papiers collants suspendus au plafond ne tendraient point à prouver que tout ne tourne non plus po rond à l'intérieur - dans cette chambre claustrophobique où nos deux amants devenus "fou-amoureux" - et impuissants - buggent méchamment... On a droit en tout cas à des discussions sur les insectes à la fois délirantes et hilarantes et une montée en puissance dans le delirium tremens véritablement trépidant. Le Bug de William Friedkin ne peut en effet finir qu'under your skin... Après, vous ne vous démangerez plus jamais de la même façon...  (Shang 22/01/09)

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