Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
12 décembre 2008

Le Héros (Nayak) de Satyajit Ray

protectedimage

Décidément, toujours un grand plaisir que de découvrir l'oeuvre de Ray. Il dresse cette fois-ci le portrait d'un acteur dont la célébrité est montée à la tête. Réalisant ce film, presque essentiellement, dans un train, Ray n'a pas besoin d'énormément d'espace pour rendre ce récit passionnant, porté par deux acteurs de grand talent, notre "héros" Aridam (Uttam Kumar) et une journaliste qui ne s'en laisse point "conter" (la sublime Sharmila Tagore, femme à lunettes, femme honnête comme dit le proverbe bengali). A l'aide de rêves (magnifiques séquences parfaitement lisibles tout en étant d'une belle étrangeté) et de flashs-back, l'Aridam revient sur son parcours jusqu'au sommet de la gloire avec lucidité : plutôt que de servir le discours habituel, Aridam déballe quelque peu son sac et met à jour toutes ses fêlures.

nayak_PDVD_009_

Moralement atteint (sans vraiment vouloir l'admettre) par le départ très mou de son dernier film et par la rixe dans laquelle il a été mêlé la veille, Aridam décide au dernier moment de se rendre à Dehli pour recevoir un prix, quitte à prendre le train avec le commun des mortels. Cette décision soudaine va, semble-t-il, lui permettre de se changer les idées. S'il jouit, derrière ses grosses lunettes noires, de sa notoriété, il ne tarde pas à rencontrer une jeune journaliste : malgré l'opportunité que cela représente, pour le journal qu'elle dirige, d'avoir une interview de la star, leur première passe d'arme est plutôt froide, la jeune femme n'étant d'une part guère intéressée par l'industrie cinématographique et, d'autre part, encore moins par la biographie que l'acteur sert habituellement aux journalistes et qu'elle connaît, presque malgré elle, par coeur... Ils se séparent gentiment, mais notre gars Aridam, turlupiné par son passé, fait un étrange rêve où il se noie littéralement dans des monceaux de billets. Il prend la décision d'aller la retrouver et notre type de déballer tous ses vieux démons : il évoque le metteur en scène de théâtre qu'il a fini par trahir en se vendant, après la mort de celui-ci, à l'industrie du cinoche; il parle aussi  d'un vieil acteur sur le déclin qu'il a refusé, par pure fierté, d'aider, et d'un vieux pote, engagé socialement, qu'il a complètement lâché, grisé par sa propre célébrité; puis il fait allusion à une femme mariée qui rêvait d'être actrice et qu'il a honteusement draguée (un second rêve venant expliciter la rixe que les journaux relataient)... Notre Aridam, qui prend des somnifères comme pour noyer sa mauvaise conscience, est également un fieffé buveur : on le retrouve en queue du train regardant dangereusement les rails (ils défilent à toute blinde dans la nuit) et il faut tout le tact de la journaliste pour le sortir de ce mauvais délire... Celle-ci d'ailleurs ne veut tirer aucun profit - professionnellement parlant - de toute l'histoire, et l'on pense que l'Aridam retiendra la leçon... Bah, les stars vous savez...

ray

Grande performance d'acteur que celle d'Aridam donc : ce personnage affable en avouant ses pêchés montre sa face sombre et remet en cause toute l'adulation qu'il assume en façade. Il devient bigrement pathétique quand il oscille dans les couloirs étroits du train, comme pour illustrer à quel point il se sent mal dans sa peau. Cette véritable confession, il la livre uniquement parce que l'échec de son dernier film risque de remettre en cause du jour au lendemain sa notoriété, comme pour expier ses fautes... Le self-control, dont il fait preuve sur la fin, tendrait tout de même à prouver qu'il n'a pas vraiment tiré profit de cet épisode. Face à lui, la journaliste, un peu collet-monté, un poil stricte derrière ses sages lunettes, ne succombe jamais au charme du personnage, le laissant dévider ses multiples remords. L'ayant "scanné" dès le départ, elle ne se fait guère d'illusion apparemment sur une profonde remise en question du personnage. Magnifique duel en tout cas, où elle renvoie la balle avec une parfaite sobriété.

nayak_PDVD_013_

Sur ce fil narratif se greffent plusieurs autres personnages qui transitent dans le train : il y a notamment un publicitaire qui se sert de sa femme pour charmer un gros client - po gêné, le gars, on se dit, mais son chtit bout de femme vaut pas mieux : elle est prête à jouer ce rôle si son mari accepte de rencontrer notre Aridam pour l'aider à percer dans le cinéma (sublime séquence wongkarwaienne, d'ailleurs, où l'image de la femme se reflète sur la glace du train alors que l'image de son mari se reflète dans un miroir : de la duplicité de notre chère espèce humaine). Une société ben corrompue, ma foi, par la thune et la gloire... Ray filme avec soin chaque personnage, l'exiguïté du train permettant parfaitement de pénétrer l'intimité des nombreux passagers. Un film qui avance, au final, vaillamment, avec une vraie limpidité, comme sur des rails... "Les films sont des trains qui..." disait le père Truffaut : à coup sûr que le gars Ray est un vrai chef de gare.      

Commentaires
Derniers commentaires