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12 juin 2022

Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander) d'Ingmar Bergman - 1982

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Cinq heures de film pour un des plus grands Bergman, on se demande si c'est suffisant. Fanny et Alexandre est un chef-d'oeuvre intersidéral, et à la rigueur il ne faudrait rien en dire : ouvrez juste vos yeux, et regardez. C'est le genre de merveille qui ne peut pas se transmettre, un pur objet cinématographique qui n'utilise que le langage du cinéma pour s'exprimer.

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A l’orée de sa vieillesse, le bon Ingmar revient sur ses années d’enfance, et sert LE film sur les enfants : le premier acte, le plus beau, vous plonge immédiatement dans une nostalgie poignante. Bergman y retrouve toute la magie de Noël, à l’époque où cette fête veut encore dire quelque chose. La maison des Ekdahl est pleine de mystères, d’histoires, de jeux, de joie, de drames. Eclairés à la bougie, les décors expriment en plein cet aspect onirique des souvenirs d’enfance de Bergman, et nous entraînent dans une atmosphère d’une merveilleuse mélancolie, qui a autant à voir avec la poésie naïve de l’univers enfantin qu’avec un sourd rappel d’un monde d’innocence perdue. Au milieu des drames, des tragédies, des frustrations, des perversions, des renoncements des adultes, les enfants découvrent un univers merveilleux que rien ne vient entamer. Leur découverte du cinéma (sublime scène où Alexandre fait jouer un petit praxinoscope pour ses cousines) et du théâtre (scène non moins énorme où l’oncle leur apprend les vertus du pet) y est pour beaucoup : leur monde est un monde de jeux et d’artificialité, de magie et de cabotins. Mais au sein de cet univers magnifique, sublimé par une photo crépusculaire extraordinaire, se cachent les rancœurs des grands, auxquelles Bergman donne également toute la place. Chaque personnage porte en lui une faille béante, qui éclate dans toutes les scènes de couple, quand les enfants dorment (ou quand on croit qu’ils dorment) : deux vieux amants que la vie a séparés, un mariage bâti sur la violence et la lâcheté, un mari obsédé par les jeunes filles, un directeur de théâtre criblé de dettes, des femmes abandonnées,… Le monde est pourri jusqu’à l’os, et c’est toute la grandeur du film que d’en parler au sein de la douceur mélancolique et de la lumière dorée.

 

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Comme The Dead de Huston, qui fonctionne sur les mêmes émotions, Fanny et Alexandre est un film-testament d’une beauté sidérante, qui utilise le difficile sentiment de la nostalgie en maître. Tout est précis, tout est maîtrisé avec une minutie incroyable (le travail sur les sons, le montage très complexe entre les dizaines de personnages, l’utilisation des symboles), ce qui fait qu’on ne tombe jamais dans le film de pépé. Au contraire : c’est extraordinairement vivant et énergique, malgré l’aspect spectral, malgré la mort et la folie qui envahissent tout, malgré la tristesse infernale qui jaillit de chaque scène.

 

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Dès l’acte 2, et la mort d’un des personnages, le film plonge subitement dans le drame total, mais un drame attaqué par plusieurs faces : il y a du Tchekhov dans ces portraits de la famille Ekdahl qui s’enfonce dans la pure mélancolie (utilisation des blancs dans le décor, jeu feutré des acteurs, et les récurrences de ces motifs qui évoquent l’oubli, la perte, à travers la résidence d’été) ; il y a, en parallèle et à travers un montage vertigineux qui se joue complètement de la durée, du Stevenson ou du conte horrifique pour enfants dans ce personnage d’ogre rigoriste qui enferment les enfants dans les greniers et les frappent avec une canne. Les fantômes font leur apparition, pour soupirer de tristesse ou pour terrifier les bambins, et Fanny et Alexandre plonge clairement dans l’outre-tombe et dans la tragédie. Pourtant, Bergman ne se laisse jamais aller à l’hystérie, à la caricature : ses acteurs sont impeccables de justesse, malgré parfois leur statut « bigger than life » (le pasteur, les servantes austères, le fils suicidaire). Mêlant souvent sa tragédie à une dose d’humour bienvenue (la mort du cabotin de théâtre, en plein rôle du fantôme d’Hamlet), l’ensemble reste d’une tendresse poignante, reste attaché à la vie et à l’humain avec passion, même dans les personnages monstrueux. Il reste à hauteur d’homme, malgré les difficultés de la reconstitution d’époque (on est au début du XXème), malgré l’immense barnum de décors et d’accessoires mis en place. Les gros plans s’attachent avec amour à chaque détail de visage (notamment sur Alexandre, présence opaque solidement campée par ce petit môme impressionnant), les plans larges prennent en charge la beauté de l’univers inventé par Bergman et les atmosphères délétères ou lumineuses. Si le scénario est relativement attendu dans les actes 3 et 4, on s’en tape : le tout est de regarder comment Ingmar raconte ça : il le fait avec un tel génie qu’on se moque bien de l’absence de surprises.

 

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Le dernier acte est résolument tourné vers la rêverie et le cauchemar, et même si on revient un peu vers la lumière du début, on sent que pour Bergman, le monde est dirigé par les morts. Il y a bien un discours vibrant d’émotion sur la jeunesse et l’avenir, mais tout est filmé dans un rapport étroit avec les choses disparues, avec la mort. Quelques moments de grâce légère n’arrivent pas à effacer les nombreuses images impressionnantes (un corps obèse en feu, un étrange garçon hermaphrodite qui semble ne faire qu’un avec Alexandre, un pasteur antisémite brutal, un fantôme malveillant), et on reste sur une impression assez macabre. Le discours de l’ensemble du film apparaît, dans les dernières minutes : qu’elle déclenche le beau ou le laid, c’est l’imagination qui est glorifiée. Hommage aux artistes aussi bien qu’aux enfants, aux raconteurs aussi bien qu’aux menteurs. Ça se termine sur du Strindberg, dans la lumière estivale d’une famille soudée, mais si mes calculs sont bons ça se termine aussi 4 ans avant la première guerre, et Bergman nous le fait sans cesse ressentir. On a de toute façon bien trop les larmes aux yeux pour voir quoi que ce soit à l’épilogue de cette merveille sans égale : bouleversant, fascinant, crépusculaire et plus que génial, à voir obligatoirement dans sa version longue. (Gols 09/12/08)

 

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J'adore forcément ce film et pour déroger aux conseils de Gols, voilà que je viens de revoir la version courte. La même magie... en plus concentrée dirons-nous. Même sentiment de merveilleux lors de cette fête de Noël d'une autre époque où les adultes tentent de retrouver les amours de leur jeunesse et où la jeunesse projette des rêves imagés sur les murs. Même impression d'horreur devant ce pasteur (c'est pour moi l'image incarnée du diable, cet acteur incroyable Jan Malmsjö me glace littéralement le sang) qui va essayer de stopper net toute liberté chez cette mère et ses deux enfants. Même bonheur de libération lors de ce rêve éveillé d'Alexandre dans ce magasin juif où les miracles et les envies finissent toujours par se réaliser... Bergman resserre son histoire autour de ce bambin diablement observateur dans un premier temps de ce monde des adultes, personnage mutique qui assiste halluciné aux représentations théâtrales (hors scène et sur scène...) des adultes, leurs jeux amoureux comme leurs jeux avec la mort (les frontières se faisant poreuses, les amours les plus incroyables pouvant se nouer dans la réalité et la mort réelles pouvant toucher les comédiens lors d'une représentation). Alexandre vit par procuration et nourrit son imagination. Puis vient cette partie effroyable (que j'aime tout particulièrement, je dois avouer : l'austérité brute, la méchanceté pure, la sécheresse absolue) où notre pasteur interdit à notre jeune Alexandre tout flirt avec le mensonge... Forcément, le gamin laisse libre court à son imaginaire, finit par raconter une histoire inventée de toute pièce et se prend un mur (et des coups de canne) face à ce religieux rigoriste (et sa famille gratinée adepte d'Annie Cordy...) ; Alexandre doit rentrer dans ce moule et cet homme de religion apparaît comme la véritable incarnation du diable (le tonnerre qui ne cesse de s'abattre sur la maison). Cette résistance d'Alexandre, il devra la payer au prix fort mais cela permettra aussi à sa mère désabusée, vaincue de tenter l'impossible : fuir cet antre du diable par tous les moyens possibles.

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Il faudrait un miracle et miracle il y aura comme si l'imagination, l'impossible ne pouvait que triompher de la réalité. La fuite des enfants est rocambolesque (le film de chevet de Carlos Ghosn) et fera pénétrer Alexandre dans le monde de la magie, dans ce monde trouble où il croisera cet étrange double androgyne. Un monde de tous les possibles, un univers merveilleux de marionnettes qui semble lui montrer la voie de l'imaginaire triomphant. Au delà de ce personnage-conducteur que l'on prend plaisir à suivre, on aime à chaque vision se concentrer toujours autant sur le travail de Sven Nykvist, ce cadreur hors-pair, cet homme capable de rendre la péloche flamboyante même au début des années 80 (ces rouges, nom de Zeus) ou de donner à un film couleur des allures de film en noir et blanc, cet éclairagiste béni des Dieux. On sait, en ayant vu le soin de Ingmar et de Sven lors du tournage, que rien n'est laissé au hasard, qu'on est prêt à faire 157 prises pour que tout soit réussi au millimètre, mais on est toujours totalement subjugué à chaque fois qu'on voit cette œuvre devant la précision du filmage et l'esthétisme, la beauté de chaque image. Bergman montre qui est alors le dieu vivant du cinéma. Indémodable. 

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Ingmar à bout : ici

Commentaires
M
Je prends itou, stéphane.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour info, on peut voir gratuitement de bons films sur le sites de France télévision (https://www.france.tv/films/), de MK2 (https://www.mk2curiosity.com/) et de la Cinémathèque (https://www.cinematheque.fr/henri/)<br /> <br /> <br /> <br /> Bon, revoir "Chungking Express" sur petit écran, c'est un brin frustrant, mais quelle joie !
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S
Je ne me suis pas gêné, Marc. Quel pied... Si le père Ingmar a une version de cinq ou douze heures de "Sonate d'automne" (ou de "Cris et chuchotements") qui traîne dans ses cartons, je prends aussi !
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M
Profitez-en, arte.tv propose la version tévé jusqu'au 16 septembre. De plus, Gaumont a édité un dévédé avec les versions longue et courte en vostfr.
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S
Un mot dans la langue de Strinberg suffira : fulländning. Et peut-être aussi... tak.
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P
C'est dans mes projets sans déconner ^^
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