La Porte du Paradis (Heaven's Gate) de Michael Cimino - 1980
Après Alien, c'est un nouveau culte qui s'effondre sous mes yeux pantois : je n'ai pas du tout été emporté par Heaven's Gate, que je trouve en grande partie raté malgré l'ambition évidente (et dérangeante) de Cimino. On a la gênante impression que le gars a voulu jouer les Visconti, ou les Leone, sans jamais parvenir à trouver la bonne distance par rapport à son histoire, se laissant trop souvent déborder par la magnificence de ses décors et de sa fresque.
Cimino voudrait trouver le juste équilibre entre histoire intime et grande Histoire américaine. Au sein d'un immense aspect épique, qui apporte son lot de cadres larges et de figurants, il tente de dessiner une intrigue psychologique minuscule (une femme partagée entre deux hommes). Mais du coup, on a l'impression d'un flou total des deux côtés. Si la fresque est impressionnante dans le bruit et la fureur de la dernière demi-heure, elle est souvent seulement joliment illustrée dans la plus grande partie : décors certes magnifiques mais qui étouffent l'action, trop grande volonté de véracité scolaire dans la reconstitution, catalogue laborieux de moments de bravoure esthétiques (une patinoire à l'ancienne, une énorme fête dans une grande école, un chaos westernien...) : tout ça ressemble à une pâtisserie trop chargée en calories, et le trop-plein menace à chaque nouvelle séquence. Cimino a les moyens, et les utilise sans vrai discernement, semblant penser que claquer du fric suffit à prouver la grandeur de l'ambition. On est étouffés sous le grand spectacle, et finalement peu passionnés par ces tableaux à la limite du pompier qui annulent tout sentiment.
Quant à l'histoire intime, elle est elle aussi sacrifiée à l'autel du spectaculaire. Les personnages (ou les acteurs, peut-être) ne touchent jamais vraiment, et la plupart des scènes d'intérieur sont attendues, trop symboliques, trop balisées. On sent d'ailleurs que le réalisateur fuit les simples dialogues, les mettant sans cesse en scène avec trop de complication scénique : ça discute en jouant au billard, en caracolant dans une charrette à 200 à l'heure, ou en étant coupé par des bagarres assez ternes... Le film manque cruellement de simplicité, de modestie, d'attention aux acteurs. Dommage, car plusieurs personnages sont intéressants, et le film réussit au moins sur un point : la lutte des classes, l'aspect "caste" de son scénario. Le personnage principal, notamment, issu de la classe aisée et prenant la défense des humbles avant de se retrouver à nouveau dans ses marques bourgeoises, est assez beau dans son combat moral contre lui-même ; de même que son alter-ego/opposé, John Hurt, anarchiste incapable de s'extraire de sa caste de nantis. Jolis détails sacrifiés par un souci de grandiose qui en annule la beauté.
Certes, Heaven's Gate est souvent bluffant quand il s'emballe vraiment : le massacre final est digne d'un Peckinpah, il a dû y avoir du cheval meurtri et du figurant de mauvais poil. Quand Cimino dope son montage, on est vraiment dans le spectacle pur, et là ça fonctionne (malgré quand même une certaine illisibilité de l'action) : on aurait bien envie que tout le film soit de ce niveau-là, presque libertaire, dans un lâcher-prise qui fait du bien après 2 heures d'un académisme trop scolaire. En l'état, massacre des producteurs ou pas, c'est assez raté, rien n'est vraiment convaincant, et on ressort de ça les yeux fatigués et l'esprit un peu vide. J'entends déjà les commentaires...