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13 octobre 2008

La Corde (Rope) d'Alfred Hitchcock - 1948

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Toujours eu un faible particulier pour ce Hitch-là, qui est d'ailleurs celui que je connais le mieux (je le passe inlassablement aux non-initiés pour tenter d'allumer des passions). Ce qui fascine le plus, c'est la somme de contraintes que Bouddha s'oblige à endosser, et la facilité avec laquelle, au sein même de ce barnum technique impossible, il parvient à retrouver toutes ses figures de style.

Rope_20pic_203 rope_201_preview

Premier film en couleurs de Bouddha, d'abord : si les teintes de l'appartement-lieu unique sont très pastels (jusqu'aux costumes des personnages), celles du décor extérieur qu'on aperçoit par la baie vitrée sont éclatantes. Le travail sur les détails de cette vue urbaine est immensément poétique : petites fumées qui sortent des cheminées, néons clignotants, coucher de soleil flamboyant, dès son premier essai Hitch possède un sens de la palette incroyable. Il utilise la couleur comme un élément dramatique subtil, notamment dans la montée de la toute fin : une fois l'atmosphère arrivée à son point culminant de tension, il fait pénétrer à l'intérieur de l'appartement une enseigne verte et rouge qui augmente la vision d'horreur endurée par james Stewart. Quelques motifs d'accessoires, également, amènenent subitement dans cette ambiance étouffante une touche de violence qui explose aux yeux : un bouquet de fleurs, la couverture d'un livre. Ces couleurs s'accompagnent d'un travail sur le son là aussi extraordinaire. Depuis le premier cri du générique jusqu'aux sirènes de police hurlantes qui viennent clôre le récit, les bruits sont un élément dramatique impeccablement utilisés, même quand ils sont totalement absents ; l'atmosphère ouatée et élégante des intérieurs devient d'autant plus étouffante que pas un seul son "désagréable" ne vient la déranger. Il faudra que Stewart utilise des sons décalés et "laids" (un métronome, un revolver) pour que la vérité éclate dans ce monde de dandys raffinés.

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Deuxième contrainte : le fameux plan-séquence d'1h17. On le sait, le film n'est pas, comme le prétend Hitch, tourné en un seul plan. Il y a non seulement les coupes "invisibles" (raccord sur une image arrêtée en très gros plan), mais aussi 5 ou 6 autres coupes nettes, mais qui sont tellement bien dosées qu'elles passent presque inaperçues. Il n'empêche que Rope est quand même un challenge impressionnant, les plans-séquences d'une fluidité aérienne, les cadres hyper-élégants, les mouvements des acteurs ressemblant à un ballet. Mais au sein de cette technique qui pourrait être handicapante, Hitch retrouve sa mise en scène habituelle : alternance entre plans d'ensemble et gros plans sur un objet "dramatisé" (la corde, le coffre, les mains de Farley Granger, un chapeau) ; travail sur la profondeur de champ toujours au taquet (la plus belle scène montre la domestique passer du premier plan au fond du décor pour débarrasser un coffre que les héros ont tout intérêt à laisser en désordre ; dosage millimétrique des informations données au public (ici, complices involontaire d'un meurtre, on ne sait plus trop si on a envie que la vérité éclate ou non). Le sens du rythme de chaque "moment" du film est prodigieux, et le tout regorge d'idées visuelles parfaites. Ne citons que les prodigieux mouvements de caméra "rétroactifs" qui dessinent dans l'air un flash-back virtuel (difficile à expliquer) : Stewart imagine ce qui a pu arriver à la victime, et sa pensée est accompagnée par la caméra qui vient filmer ce scénario imaginaire. Insérer ainsi un flash-back dans un film en un seul plan, je sais pas ce que vous en pensez, moi j'appelle ça du génie. Tout comme est génial ce dernier travelling arrière qui laisse enfin apparaître tout le décor, les trois personnages dont le destin est cellé et ces bruits qui montent de l'extérieur.

lacorde

Il est vrai que le scénario n'est pas à la hauteur de ce coup de maître formel : la pièce originelle est assez mal écrite, pleine d'invraisemblances, et basée sur un postulat un peu improbable (deux garçons en assassinent un troisième gratuitement, pour réaliser un crime parfait et mettre en pratique leurs théories nietszchéennes sur le Bien et le Mal). Il y a aussi quelques fautes techniques étranges (la posture du cadavre dans la première scène, ou le jeu outré des deux acteurs principaux). Mais on s'en fout complètement, tant le film est beau et intelligent, drôle et virtuose. Bouddha for ever.

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Commentaires
J
Etonnant pari technique, repris partiellement dans "La amants du Capricorne". Hitchcock lui-même a trouvé ça absurde après coup et n'a jamais renouvelé ce filmage en plans-séquences. Sa technique filmique où la valeur du plan doit être proportionnelle à l'intensité de l'émotion, il la reprend en faisant ce montage dans la continuité du filmage, aveu que le filmage en continu ne servait à rien ...
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L
"un postulat un peu improbable (deux garçons en assassinent un troisième gratuitement, pour réaliser un crime parfait et mettre en pratique leurs théories nietszchéennes sur le Bien et le Mal)". C'est pourtant très exactement ce que firent 2 étudiants épris des plus fumeux avatars de la pensée de Nietzsche<br /> Nathan Leopold (1904-1971) et Richard Loeb (1905-1936. Hich documentaire ?
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F
Ah oui, Bouddha Forever, ce film est magnifique (et dire que Hitch le trouvait raté, superficiel, prétentieux... -voir Truffaut's book), alors que c'est un huis clos filmé de la manière la plus audacieuse et parfaite que l'on puisse imaginer. Il a dû sentir le pìège (réduire tout le film à quelques plans-séc c'est une manière de se pièger -pas la peine de me citer Sokurov, je m'en fous un peu du virtuosisme) mais quel art pour s'en sortir et répondre au défi ! Placés du coté des assassins (on est les témoins de leurs acte et jeu macabre, aussi complices puisque tout le suspens se joue autour du fait que les autres découvrent ce que nous on sait, comme dans certains rêves d-ailleurs...). La conversation autour du meurtre est un tr÷es bel hommage à Thomas De Quincey, cet merveilleux çecrivain anglais du XIX, qui berça l'enfance de Borges, auteur du "Murder Considered as One of the Fine Arts" (De l'assassinat considéré comme un des Beaux-Arts" (1827).<br /> <br /> Et bien sûr, on peut adorer à la fois Hitch-Bouddha et Ozu-"Mu" (terme venu du bouddhisme chan, que l'on peut traduire par « le rien constant », « l'impermanence », trop souvent rendu en français par « le néant », « le vide ». Il ne faut pas y voir la connotation négative occidentale d'absence, de disparition, de « nihilisme », mais au contraire le sens extrême-oriental, qui est l'idée de faire un avec l'univers, de se fondre dans ce qui nous entoure. C'est avec ce mot que Ozu décida clore sa musique précoce). <br /> <br /> Donc, Mu
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