Les Glaneurs et la Glaneuse (2000) d'Agnès Varda

Il n'y a point que les Chinois pour être les rois de la récup' (voir Manufactured Landscape). Il y a ceux aussi en France qui glanent, qui grappillent, qui biffent, qui se baissent, ramassent, amassent ou cueillent, pour manger, pour le plaisir, pour po gâcher, pour survivre... Agnès Varda promène sa petite caméra numérique au fil des campagnes ou sur les trottoirs des grandes villes, et glane à son tour ces images, ces souvenirs, ces récits, ces destins, ces aventures de petites gens ou de grands chefs, d'artistes ou de sans domicile. On oublie vite le tableau de Millet devant ce portrait de la France de l'an 2000 : marchés écumés par les plus démunis, champs de pommes de terre ou vergers de pommes abandonnées, laissées à leur propre sort, objets perdus sans collier sur l'asphalte, bidules mis au rebut, poubelles pleines de nourritures qui ont passé la date limite mais reste dans la limite du consommable. Rythmé par des raps ou des petites chansonnettes où les sécateurs battent le tempo, Agnès Varda ne se contente jamais d'observer, son désir la poussant toujours à aller vers les gens auxquels on donne rarement, disons même jamais, la parole.

La caméra est numérique mais Varda n'a jamais perdu, elle, de son humanité. Si cette caméra lui permet de "filmer une de ses mains avec une autre main", si elle a l'impression parfois de "se" raconter, c'est à travers le témoignage des autres qu'on prend conscience de sa fibre intérieure pleine d'empathie. Elle cherche à comprendre, à savoir avec une honnêteté touchante, parce que sûrement devenue trop rare. C'est plein de petits passages cocasses, attendrissants, drôles malgré la tristesse de certaines situations qui échappent malgré tout à tout misérabilisme : cet homme qui le jour se nourrit des restes dans les cagettes et qui le soir donne des cours d'alphabétisation dans les foyers Sonacotra, ce routier dans sa caravane qui a tout perdu avec son comparse véritable homme-bière (un personnage Murakamien...?), ces gens du voyage ou ces ados sans toit qui subissent la loi,... Agnès V. garde la même curiosité pour ces objets qu'elle croise, ces patates en forme de coeur, cette horloge sans aiguille, ce tableau amateur, "best of" de glaneuses... Le commentaire est léger, précis, pose sa petite musique sur ces images d'existences et de bidules en marge. Veni, vidi, Varda. Essentiel.    

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