Be Happy (Happy-Go-Lucky) de Mike Leigh - 2008
J'allais dire : "Encore un cinéaste qui manquait à notre colonne de gauche", mais en fait je me demande si c'était pas exprès. Comme à son habitude, Leigh, avec Happy-Go-Lucky, se vautre avec une belle énergie dans la complaisance populiste et dans les bons sentiments pour magazines féminins. Cette fois, il veut travailler sur le sentiment de la joie, et de son importance (ou non) face à la dépression générale de notre bonne vieille société contemporaine. Il choisit donc de mettre en scène une femme toujours joyeuse, qui balance des vannes à tout bout de champ, déconne avec ses copines en tirant sur des joints et ne tient pas en place. On devine très vite le problème : Poppy n'est pas de ce monde, et son infatigable (et fatiguante) bonne humeur va se heurter au mur de la tristesse ambiante.
Si vous aimez les personnages façon bécasse, vous craquerez sûrement face à Poppy : elle est horripilante, tête-à-claques, criarde, hystérique "comme toutes les filles", semble nous suggérer Leigh. Le spectre de Bridget Jones n'est pas retourné dans les limbes, et il plâne sur Happy-Go-Lucky une vision extrêmement naze sur la femme moderne. Leigh voudrait casser les clichés de la féminité, et ne fait que retomber dans d'autres clichés : pour rendre Poppy un peu trash, il lui fait avaler des hectolitres de bière, s'habiller en punk, ou balancer des blagues de légionnaire aux moments incongrus. Son héroïne en devient crispante de caricature, d'autant que l'actrice (Sally Hawkins) ne fait rien pour en atténuer la lourdeur ; dès le générique (elle sillone les rues sur son vélo en affichant un sourire crétin et béat), on sent qu'elle va être too much. Superficielle et fière d'elle, elle contribue à la ruine totale de son personnage. Leigh, pour contrer cette caricature, organise autour d'elle un monde clicheteux en diable : de la soeur petite-bourgeoise enfermée dans ses stress domestiques au moniteur d'auto-école paranoïaque, aucun n'est crédible, tous semblent faire partie d'un film pour enfants.
Leigh ne fait jamais confiance à ses spectateurs. Pour que son message passe, il appuie lourdement sur chaque épisode, nous souligne les endroits où on doit rire et où on doit réfléchir (j'ai oublié de préciser que c'était un film anglais...). Condescendance qui se transmet à son personnage principal : Poppy est en fin de compte hautaine et supérieure, lançant des regards lourds de pitié à tous ceux qui ne la comprennent pas. Leigh appie encore une fois sur chaque séquence qu'il voudrait importante, livrant quelques moments interminables (le dernier dialogue avec le moniteur) pour mieux nous faire comprendre son discours. Les deux seuls jolis moments du film en sont gâchés : une séance de danse où la prof pête les plombs, et la rencontre avec un clochard desespéré ; trop longues, trop simplistes, ces deux scènes sont pourtant les seules à laisser entrevoir ce qu'aurait pu être le film.
Vous allez me dire, impudents que vous êtes, que je n'ai rien compris, que le discours de Leigh est justement : "Rire de tout peut être dangereux". Dans ce cas-là, Leigh s'arrête à mi-chemin. S'il voulait réellement montrer les limites ambigues de la joie de son personnage, il aurait dû la faire rire aux malheurs de son petit élève battu par ses parents, ou passer à côté du moniteur d'auto-école sans se rendre compte de son sadisme. Alors que là, il la charge d'une responsabilité condescendante. Happy-Go-Lucky, sous des dehors humanistes d'une totale roublardise, n'aime définitivement pas les gens, ni ses personnages, ni son public.