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Shangols
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18 février 2022

Mouchette (1967) de Robert Bresson

On ne peut point dire que ce soit la fête du slip à tous les étages que ce portrait de cette pauvre Mouchette qui a de faux airs de Charlotte Gainsbourg adolescente. Malmenée du début à la fin, cette "mal-apprise" a bien du mal à trouver une once de satisfaction dans ce petit village ; "Je les hais tous" pourrait être son leitmotiv, chez celle qui subit à la fois toutes les brimades et se méfie tout autant des bonnes intentions à son égard. Du Bresson au cordeau, qui montre sans jamais démontrer, une oeuvre sèche qui nous plonge littéralement dans la vie de cette petite gourgandine.

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La seule séquence qui arrache un sourire à Mouchette est celle où, une femme lui ayant donné un jeton pour faire de l'auto-tamponneuse, elle se retrouve attaquée de toute part, notamment par un homme. Elle tente de rendre certains coups mais la plupart du temps, on la voit violemment secouée : les coups, ce n'est pas ce qui la gène, d'autant que pour une fois, il s'agit de s'amuser... seulement même dans le divertissement, elle doit accuser le coup... Elle reviendra vite sur terre lorsque, à peine sortie de l'auto, suivant timidement cet inconnu, son père lui fout une gifle. A part cette petite parenthèse "de plaisir", Mouchette passe son temps à être brimée : à l'école, aussi bien par la vieille fille d'instit que par les autres écolières, ou chez elle - sa mère passe son temps alitée et elle doit s'occuper du bébé entre deux baffes, les deux hommes de la maison, qui trafiquent de l'alcool, étant soit absents soit muets. Mouchette tente de rendre coup pour coup en jetant de la terre à ses camarades, en nettoyant ses godasses toutes boueuses chez la première grand-mère qui l'accueille chez elle, comme si elle avait compris que le seul réflexe de survie était, en ce bas monde, la méchanceté. Lors d'une nuit où elle reste des heures sous la pluie dans la forêt, elle rencontre le fameux braconnier du coin qui va non seulement vouloir se servir d'elle pour avoir un alibi (tant que cet homme est hors-la-loi, contre les autres, contre l'autorité, elle lui promet son aide) mais qui ne tarde point aussi à profiter d'elle sexuellement : Mouchette se défend puis se rend mais ne cherchera jamais le lendemain à se plaindre; d'une part ce n'est point sa nature, d'autre part, elle en fait presque un trophée ("c'est mon amant") comme si elle avait trouvé un allié. Mouchette semble prise au piège de sa condition comme les pigeons qui finissent inexorablement dans les collets du braconnier au début du film. Quel est l'échappatoire possible...? Condamnée d'avance la Mouchette...

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Bresson capte parfaitement cet "esprit de village" sans avoir besoin de tomber dans le folklore : une fête foraine, la jalousie exacerbée entre deux hommes qui convoitent la même serveuse du bar, les flics qui savent quand fermer les yeux devant les petits trafiquants, le dénuement de certaines familles en marge de la société... Pas besoin une nouvelle fois de se noyer sous les dialogues (magnifique scène quand le père et le frère de Mouchette viennent livrer l'alcool, prendre les biffetons au bar, boire deux canons cul sec avant de repartir sans qu'un mot n'ait été échangé - no comment), la caméra de Bresson traque, épie ses personnages : cette misérable Mouchette avec ses deux pauvres noeuds dans les cheveux, ce braconnier aux yeux chassieux, épileptique et pervers, ce garde-chasse plus courageux en paroles que dans les actes... C'est un monde dans lequel Mouchette s'embourbe, à l'image de sa galoche qui reste collée au sol humide. Elle est définitivement sur une mauvaise pente, ça tombe plutôt mal, vu qu'en général, en contre bas, il y a souvent une rivière. Inexorablement bressonnien.   (Shang - 06/08/08)

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L'aridité a parfois du bon, et je vous promets que vous sortirez de Mouchette à la fois effrayé et fasciné par l'absence de concessions de Bresson. Tout est fait à l'épure, pour permettre au spectateur une projection totale sur les personnages, sans aucun frein : le montage, très "cut", souvent sur les objets ou sur les parties du corps humains, avec cette caméra qui vient attraper par exemple des mains qui se serrent ou un objet qui tombe, et ce montage très rapide sur eux, est un modèle de rigueur mathématique, et même dans les scènes plus mouvementées (comme la sublime séquence d'auto-tamponneuses ou la fin malheureuse de Mouchette), il reste d'une exigence qui confine au jansénisme. Le scénario, qui se débarrasse de tout ce qui n'est pas uniquement vu par la petite fille dans l'écriture de Bernanos, est au diapason, droit comme un i. La sobriété du jeu des acteurs, enfin, la marque de fabrique de Bresson, est ici poussé à l'extrême : les acteurs sont des corps qui bougent et parlent, ils n'expriment aucune émotion particulière, ce qui nous permet de projeter sur eux nos propres émotions, de faire intelligemment le travail de lecture des scènes, de regarder le film "personnellement". La première séquence donne le ton : un garde-chasse qui observe le braconnier attraper un oiseau dans un collet, observation clinique et sans affect d'un animal qui se débat : à la fois annonciateur du sort de la petite Mouchette à venir, et véritable mot d'ordre de tout le film, cette scène est une sorte de manifeste esthétique. Il va s'agir de jouer la chose avec une distance totale, pour en augmenter la monstruosité et permettre au spectateur de se faire sa propre idée de ce qui nous est raconté.

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Dans ce contexte, Bresson déploie sa grammaire avec une impressionnante maîtrise. On ne saurait le prendre en défaut à aucun moment du film, et chaque petit élément semble signifiant, utile au fond et à la trame. Un homme qui pousse sa fille dans une église, le même qui la gifle quand elle a une velléité de tendresse envers un garçon, des chaussures trop grandes pour la fillette, un bébé tenu comme une madone en pleurs, le moindre geste, le moindre mot participe à enfoncer Mouchette de plus en plus dans la gadoue. Le destin de cette fillette mal aimée, poussée au suicide par l'absence totale d'amour en ce monde, vous arrache le cœur, d'autant que la petite Nadine Nortier, à qui Bresson a fabriquée une silhouette géniale avec son corps tout maladroit, ses nœuds dans les cheveux, son visage sale et son sourire craquant, est bouleversante. On la range illico aux côté du petit Doinel ou du gosse de L'enfance nue tant elle semble représenter à elle seule toute l'enfance maltraitée, niée, incomprise, utilisée. Et Bresson, discrètement, avec son cinéma austère et sec, a peut-être réalisé là son chef-d’œuvre...   (Gols - 18/02/22)

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tout sur Robert : ici

Commentaires
P
Très beau film bressonien. Un de mes préférés avec Pickpocket.
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