Je Tu Il Elle de Chantal Akerman - 1975
Ah oui alors là, oui d'accord, oui oui. Je suis assez branché films expérimentaux post-soixante-huitards en ce moment, mais alors là, oui, je comprends. Je n'ai pas le souvenir d'avoir autant senti le temps qui passe en visionnant un film, même avec Straub, même dans les Kenneth Anger les plus abscons, même dans Le Seigneur des Anneaux. En un mot, Je Tu Il Elle, c'est aussi intéressant à vivre qu'un coup de pied dans les boules. Vous allez me dire : pourquoi tu l'as regardé ? C'est aussi la question que je me pose.
On me reproche de ne jamais parler de la trame des films, alors voilà : Première demi-heure : Akerman (je) est enfermée nue dans sa chambre et mange du sucre en poudre en écrivant une lettre à on ne sait qui (tu). Deuxième demi-heure : Niels Arestrup (il) est routier et la prend dans son camion, ils regardent la télé et elle le masturbe. Troisième demi-heure : Akerman et son amie (elle) baisent convulsivement. Voilà. Dans un premier temps, on croit que le dvd est cassé, que c'est une image fixe, mais non, ça parle de temps en temps. Alors on se dit qu'en fait c'est un film destiné à être exposé à Beaubourg, un de ces bidules devant lesquels on reste 5 minutes avant de passer à l'oeuvre suivante. Mais non, puisque subitement, le film prend des allures de "vrai film", avec acteur et tout. Alors on se dit que ok, ça va être un film en fait sur une femme qui sort de son cocon et affronte la vie après un chagrin d'amour (?). Et ça a bien l'air d'être ça, puisque le dernier plan montre son amante lui écarter les cuisses pour contempler son sexe (altérité et ressemblance, etc, lisez Freud).
On est content d'avoir compris, et on ne voit pas pourquoi Akerman nous punit ainsi. Passons sur l'image cradasse et les plans mille fois trop longs, c'est la marque des films-labos de l'époque. Mais on aurait apprécié de pouvoir distinguer quelque chose dans ces plans larges sans expression, ces scènes nocturnes interminables, ce traitement du son impossible (la première fois que je comprends mieux les sous-titres anglais que les dialogues français) ces scènes fixes dont la durée n'apporte rien. Les partis pris d'Akerman sont certes courageux, mais quand ça ne marche pas, il faut aussi s'en rendre compte : le plan de 256 minutes (temps subjectif) sur Arestrup qui regarde la télé dans un resto routier ne pouvait-il pas ne durer que, mettons, 12 minutes et dire la même chose ? Faut-il forcément nous infliger cette symbolique opaque, et cette mise à nu même pas gênante ? Akerman semble surtout se préoccuper de l'état de santé de son nombril et de ses petites angoisses personnelles, en nous excluant totalement de son travail. On pense très souvent à Angot, c'est dire. Le film devrait s'appeler "Je je je je" ; on bénit en tout cas le ciel qu'il ne s'appelle pas "Je tu il elle nous vous ils elles".