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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
21 avril 2008

Angel (2007) de François Ozon

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On comprend aisément ce qui a pu attirer le réalisateur de Sitcom : une jeune fille qui rêve son futur, qui se leurre sur son présent et qui embellit son passé (après la mort de son mari qui n'a jamais montré une once d'affection à son encontre); voilà une destinée qui se joue sur les apparences et Ozon sort la machinerie lourde avec décors et robes de conte de fée, neige qui tombe à foison, grande -et belle- musique lyrique. Seulement derrière l'histoire de cette Angel, petite fille solitaire et capricieuse, égocentrique et tyrannique se cachent des ombres, des fêlures, une certaine noirceur : peut-être est-ce d'ailleurs cet aspect qui peut le plus dérouter le spectateur lambda; tout semble écrit à l'eau de rose mais tout sonne faux, creux - Ozon en rajoute à donf avec ces "blue screen" de roman photo qui sentent le trucage à deux balles. Il s'agit au final d'un genre de film de Walt Disney où tout le monde s'adorerait en apparence mais où Donald ferait une passe à Minnie dans les coulisses, où Riri serait jaloux de Fifi qui voudrait la mort de Loulou.

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C'est assez déstabilisant, même dans la foulée du livre, car il n'est point évident (il s'agit d'un vrai travail d'équilibriste) de montrer à la fois le côté rêvée de l'Angel et le cynisme, la cruauté sous-jacente de notre pauvre monde : elle pense surfer dans le grand monde alors qu'elle s'y noie tout bêtement. Le personnage de la femme de l'éditeur, affable, hypocrite mais lucide, est en cela parfaitement dessiné - et joué dans les règles de l'art - par une Charlotte Rampling qui crache son venin avec le sourire. Le tableau fait par le mari d'Angel qui n'a gardé que l'éclat des yeux de sa femme, mais dont tout le reste du visage est lugubre est également une belle réussite, une véritable illustration de ce clash entre le pessimiste réaliste de l'un (le mari) et l'optimiste forcené de l'autre (Angel). Ozon reste fidèle à lui-même en explorant un peu plus que dans le livre les pistes d'une sexualité refoulée dans le couple et le saphisme entre Angel et Nora (délicieuse scène du massage du dos); on regrette presque que cette piste ne soit qu'effleurée tant l'on a droit, d'un autre côté, à tous les excès baroques de l'imaginaire d'Angel; Ozon joue à mort de cet esthétisme des bouquins Arlequin et ne se refuse rien dans ces grandes bouffées de romantisme (le baiser sous la pluie, la demeure somptueuse, le froufrou des robes et des chapeaux...);  il a la main tellement lourde que parfois on frôle presque la complaisance; c'est un poil gênant car l'histoire demeure fondamentalement tragique : c'est en effet celle d'une jeune fille qui, pour être fidèle à ses promesses de jeunesse, a dû passer sa vie avec des œillères, qui, pour ne pas se décevoir, se doit de (se) raconter des histoires ("vos bouquins plaisent car on dirait que c'est pour vous que vous les écrivez" - c'est pas exactement la citation, mais l'esprit). Bref  on finit un peu le cul entre deux chaises, tant la forme a été parfaitement soignée (superbe dernier mouvement de caméra qui s'élève sur la demeure de Paradise avant de retomber au niveau du sol et de la tombe d'Angel), sans que le style singulier d'Ozon parvienne vraiment à émerger. Un peu comme le livre de Taylor qui, cyniquement, critique les ouvrages écrits par Angel, sans que le roman lui-même fasse preuve de génie d'écriture. Une adaptation un peu trop "à la lettre" tentera-t-on...?   (Shang - 11/10/07)

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18723806_w434_h_q80Ah la la pas d'accord pas d'accord, mais alors pas d'accord du tout avec la critique mi-figue mi-raisin de mon éminent poteau. Angel est un grand film casse-gueule, sarcastique, et sûrement le plus autobiographique et le plus personnel de son auteur. Les lectures sont innombrables, et Ozon les attaque de front, avec un goût du risque qui frôle l'inconscience : habillant son film de frou-frous honteusement rose bonbon, il sait qu'il va s'attirer les foudres de la critique, qui s'arrêtera sûrement là. Pourtant le film est dans la droite ligne de ses oeuvres passées, surtout de 8 Femmes, qui questionnait comme ici le pouvoir des images, la culture populaire et le sens du succès.

18723813_w434_h_q80Tourmenté, Ozon semble se creuser lui-même à travers ce personnage "burtonien" (c'est le même profil qu'Ed Wood) qui préfère plier le monde à son imaginaire plutôt que de vivre dans la réalité. Cette soif de beauté, touchante et même bouleversante de la part du cinéaste de "l'artificialité", imprègne littéralement les images : transparences old style, robes clicheteuses, musique violoneuse (et effectivement géniale), jeu d'acteurs archétypal, nuit américaine sublime (devant la grille de cette propriété rêvée), tout contribue à aller dans le sens des fantasmes d'Angel, et dans le sens des rêveries d'Ozon. Le film est empli d'amertume en même temps que d'ironie et d'auto-critique : qu'est-ce que ça veut dire, être un artiste populaire ? Quelle est la part de concession que l'on doit faire par rapport à son public ? Le succès est-il compatible avec l'art ? L'artiste est-il un rêveur ou un miroir du monde ? Autant de questions auxquelles il n'apporte aucune réponse, préférant trouver sa voie dans la forme plutôt que dans le scénario. Angel prend le risque d'être raté, simplement pour voir si un art populaire est viable, simplement pour tester "in vivo" un concept. La réalisation est littéralement impregnée de cette question de "l'agréable" et du plaisir.

Après une première heure consacrée à ce fantasme d'un monde disneyen, le film prend un virage dans son 18836920_w434_h_q80scénario, avec l'arrivée de la guerre. Le monde concret fait son apparition dans la vie rêvée d'Angel (notez le jeu de mot au cordeau), mais, fidèle à son concept de départ, Ozon met son point d'honneur à retarder la métamorphose de sa mise en scène. Le film, jusqu'au bout ou presque, restera cet amoncellement de clichés qui mettent en doute les clichés eux-mêmes. On nous montre du doigt dans notre sensiblerie de spectateur lambda, avec violence, sans ménagement. Et si Ozon en ressort comme une sorte de démiurge manipulateur et nombriliste, c'est pour mieux nous asséner une vérité saine à entendre : comme Angel, on aime de la merde, du joli cinéma qui ne fait pas de mal, l'artificialité. Artificialité dont Ozon fait la sève de son film, nous donnant à voir ce qu'on veut voir tout en en interrogeant le bien-fondé.

18836929_w434_h_q80Certes, c'est un peu long. L'ambition du film est vite décelée, et Ozon ne sait pas toujours quand s'arrêter. Mais la sincérité y est totale, et la puissance de sa vision s'exerce à tous les postes : costumes géniaux, qui recyclent des clichés du film d'époque avec ironie (la dernière robe d'Angel doit être un clin d'oeil critique à Adèle H.); musique romantiquissime, qui appuie les rebondissements de l'action en leur donnant un aspect "gonflé" qui leur donne une profondeur très caustique ; photo qui laisse rêveur par son aspect image d'Epinal (or des intérieurs, bleu de la neige, clairs-obscurs hilarants); et surtout acteurs complètement investis par le sarcastique contenu dans leurs personnages. Mention spéciale à Romola Garai, d'une subtilité égale à sa prise de risque vis-à-vis de son image, et au toujours immense Sam Neill, dans le rôle d'un éditeur grand style, raide et glamour comme un personnage de Cartland.

On peut reprocher à Angel d'être froid, faiseur, malin, dénué d'émotion, voire condescendant. Mais c'est alors refuser tout le cinéma d'Ozon, ainsi que celui de Von Trier ou d'Haneke, qui malmènent leur public avec insistance depuis pas mal de temps. C'est refuser d'être interpellé dans nos bassesses, c'est refuser d'admettre que le populisme est roi dans le cinéma d'aujourd'hui, c'est refuser d'être insulté de temps en temps plutôt que caressé dans le sens du poil. Angel est un grand film, conceptuel, insolent et tourmenté.   (Gols - 21/04/08)

Commentaires
S
""comme Angel, on aime de la merde, du joli cinéma qui ne fait pas de mal, l'artificialité", je parle du personnage, pas du film. Le personnage est un reflet de notre rapport à l'art, selon moi."" - je citais cette phrase pour le "on" (on aime pas de la merde rassure-moi - ou alors on ose po l'avouer...). Je comprend à 100% ce que tu dis, aucun doute là-dessus, et j'ajouterais même qu'il y a une sorte de complaisance "malsaine" de Ozon (et assumé) à tomber dans les pires clichés (après le fameux Sitcom où il les déchiquetait). Je ne pense pas pour autant que ce film n'ait pas trouvé son public (ce qui n'est en rien un gage de qualité, soyons d'accord) parce qu'Ozon s'en moque, ils n'ont tout simplement pas été attiré (pas vu, pas pris), de prime abord, par cette histoire présenté ainsi, ne serait-ce que par son affiche, à l'eau de rose (certes vinaigrée, oui). Bref, il est marrant malgré tout (on est les seuls, eheh) qu'on se repenche sur ce film passé ultra-rapidement à la trappe. Je regrette simplement pour ma part qu'Ozon n'apporte pas grand-chose de plus dans le fond (dans la forme, c'est du taff)à tous ces thèmes qui était déjà dans le roman (Et pour avoir lu un autre livre d'Elizabeth Taylor, je ne pense point que cette ci fasse vraiment exprès d'écrire platement, ou c'est du vice). Un film intéressant (surtout dans la filmographie de Ozon, peut-être même son plus ambitieux), oui, mais à mes yeux loin d'être si abouti que ça (comme si Ozon s'était presque laissé vamper par le bouquin et sa -trop- fidèle adaptation). Mais s'il fait réfléchir, tant mieux.
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G
Oui, c'est un peu long, et c'est le seul défaut que j'ai trouvé au film. Mais je le trouve quand même génial. C'est difficile en fait de parler de ce film, très complexe, qui utilise justement une forme putassière et caricaturale pour "user" cette forme, réfléchir sur sa puissance sur le public. Il y a presque une ambition brechtienne là-dedans, une façon de nous donner à voir ce qu'on veut voir tout en en démontant le système. Bien pour ça que je le compare avec Haneke (notamment Funny Games, qui nous plonge dans l'horreur tout en nous en montrant les ficelles) ou Von Trier (surtout le Direktor, qui nous manipule en nous montrant le manipulateur). J'avais envie de parler de Scream aussi, mais trop peur des sarcasmes.<br /> Rien à voir bien sûr avec Ratatouille, qui est un peu son opposé : Ratatouille utilise mercantilement un système tout en faisant semblant de le critiquer; Ozon critique un système tout en faisant semblant de l'utiliser...<br /> Le Ozon ne pouvait pas être un succès, puisqu'il insulte allègrement son public, alors que Ratatouille le caresse dans le sens du poil. <br /> Angel est un film COMIQUE, critique, qui fait exprès d'être raté (comme le livre, mal écrit semble-t-il), qui fait exprès de pousser le genre "macaron" dans ses excès caricaturaux. C'est un film distancé, à prendre au 45ème degré au moins. <br /> Quand je dis : "comme Angel, on aime de la merde, du joli cinéma qui ne fait pas de mal, l'artificialité", je parle du personnage, pas du film. Le personnage est un reflet de notre rapport à l'art, selon moi.<br /> Mais j'avoue que ce film me plonge dans des abîmes de réflexion depuis que je l'ai vu. Résultat d'icelles un de ces jours, peut-être.
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S
A la lecture de ton article, je ne vois pas bien en fait la différence avec ce que j'en dis: "Certes, c'est un peu long. L'ambition du film est vite décelée, et Ozon ne sait pas toujours quand s'arrêter." Mais tu finis tout de même par trouver cela génial alors que le film (comme le roman) se traîne et se traîne en longueur en jouant de plus en plus avec ce côté cousu de gros fil blanc. Tu dis: "comme Angel, on aime de la merde, du joli cinéma qui ne fait pas de mal, l'artificialité" alors que non seulement le film n'a pas du tout trouvé son public (de truffes ou non)et derrière tu parles de Ratatouille qui est justement exactement la même chose et que tu abhorres (la bande-annonce m'a suffit). Angel pour moi se mord complètement la queue, part d'une idée intéressante (qui est celle du bouquin - mal écrit)mais Ozon n'apporte finalement rien de plus si ce n'est une certaine aptitude à donner des couleurs et des formes à l'Angel; c'est bien tout. Von Trier et Haneke sont deux cents fois plus exigeants et rentre-dedans que ce macaron parisien joliment enrubanné qui n'a absolument rien d'une bombe à retardement.
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G
Eh oui, je sais, je m'emballe, je m'emballe. Mais pour moi, Von Trier, Ozon et Haneke, c'est le même combat, et c'est aussi pour ça que beaucoup ne les aiment pas : parce qu'ils nous prennent pour ce que nous sommes.<br /> Angel est effectivement un film qui nous traite avec hauteur... mais Ozon s'inclue lui-même dans le lot des "fleurs bleues", il se traite lui aussi avec peu d'égard.<br /> Et tu admettras que nous prendre pour des truffes et nous prouver qu'on l'est revient un peu au même.
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A
Angel ne prend pas seulement le risque d'être raté. Il l'est en grande partie. Je lui reconnais toutes les qualités de ton analyse oh combien pertinente. Mais ton dernier paragraphe me hérisse un chouille... Oui, Angel m'a profondément ennuyé (intentions trop voyantes, intelligence étalée avec hauteur), mais je ne refuse pas tout le cinéma d'Ozon et encore moins celui de Trier et Haneke. J'aime être bousculée au ciné, Angel m'a seulement fait bailler : Ozon nous prend pour des truffes, Haneke et Trier nous amènent à prendre conscience qu'on est des truffes. Nuance.
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