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Shangols
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6 octobre 2014

Le Chœur de Tokyo (Tokyo no kôrasu) (1931) de Yasujiro Ozu

Un excellent Ozu qui va du burlesque au drame social en passant par la peinture familiale. On passe du rire au pathétique, parfois au sein même d'une séquence comme celle, centrale dans le film, où les deux parents se retrouvent à jouer avec leurs enfants en cachant leurs problèmes. Presque aucun travelling et beaucoup des fameux plans "tatami" au sein de la cellule conjugale, le film est d'une grande sobriété avec en conclusion une sorte de banquet traditionnel que l'on retrouvera dans plusieurs films à venir.

The_Chorus_of_Tokyo1

Le film s'ouvre sur des séquences de gymnastique avec des étudiants qui multiplient les facéties, sous le regard austère de leur prof qui ne cesse de noter dans un carnet toutes les petites imperfections et autres manquements à la règle. Il est intéressant de noter que la séquence finale, en reprenant notamment l'attitude d'un des personnages mais également le ton relativement enjoué, sera un bel écho - comme si l'optimisme devait primer - à ces petits sketches burlesques, le ton de l'ensemble du film restant, lui, relativement grave. Après avoir fini ses études, le héros, marié et père de trois enfants dont un bambin, travaille dans une compagnie d'assurances. C'est l'heure du bonus et il a promis à son fils, jaloux des autres gamins du quartier, une bicyclette. Seulement, lors d'une discussion avec l'un de ses collègues, ce dernier lui apprend qu'il va être viré pour avoir vendu par deux fois une assurance à des personnes qui ont peu après trouvé la mort. Il s'offusque de cette injustice, rameute les troupes dans le bureau, tout le monde acquiesce, mais il se retrouve en première ligne pour porter sa plainte au boss ; le bougre ne se démonte point, et malgré la tension de la discussion, Ozu parsème sa mise en scène de détails comiques, le boss et l'employé copiant leur attitude l'un sur l'autre en jouant avec un éventail ou en se poussant mutuellement ; il fait jeu égal avec le patron, sûr de son droit, et se retrouve... automatiquement viré.

A défaut de bicyclette, il revient tout penaud vers son fils avec une trottinette. Le gamin envoie paître la trottinette, pousse sa crise et le père de lui coller une fessée monstrueuse, une scène d'une violence qui équivaudrait dans un film avec Bruce Willis à l'explosion de 25 hélicoptères et la destruction de 89 bagnoles. Ses gamins le traitent de menteur ("les gamins sont pourris", mais ouais Mme Muscin) et sa femme lui fait les gros yeux ; ils font quand même moins les malins quand il leur apprend qu'il a perdu son taff. Le sort s'acharne et il ne va pas tarder à se retrouver comme le petit poisson qui s'asphyxie au bord d'une rivière : on se rend compte qu'il a non seulement fini par céder au gamin, qui a son vélo, mais en plus, maintenant, c'est sa chtite qui est malade et qu'il faut emmener à l'hôpital... La mère se demande où trouver la thune mais le mari ne cède point et emmène la gamine se faire soigner. De retour chez eux, la mère se rend compte que toutes les fringues ont disparu : avec la force d'un regard échangé avec son mari qui joue avec les enfants, elle comprend qu'il a tout vendu ; elle se joint à eux (ils se tapent dans les mains en cercle) et là on a droit à une séquence sublime, tout le Japon dans une assiette, lorsqu'il s'agit de garder la face : échanges de regards noirs lourds de sens, mâchoires serrées, têtes baissées, une discussion muette s'engage entre la femme et son mari, un véritable drame shakespearien dans l'intensité des pensées que l'on sent ruminer dans leur tête, tout ça pour finir, après avoir essuyé une petite larme, par sourire aux enfants qui ne se sont rendus compte de rien. Une séquence terrible dans le fond et proprement magique dans la forme, Ozu est bien un immense metteur en scène.

images

La crise est bel et bien toujours d'actualité en ce début des années 30, et le père se résout à accepter la proposition de son ancien prof de gym : bosser dans son resto et faire de la pub dans la rue, en échange d'une promesse d'emploi dans l'éducation ; notre héros se retrouve à marcher au pas dans la rue comme à l'école, derrière son maître, et lorsque sa femme aperçoit incidemment son mari, pour elle, ce type de job, c'est la honte totale. Notre gars est dépité dans son appart, totalement démoralisé et il y a l'un de ces fameux plans fixes d'Ozu sur le linge qui pendouille dehors sur un fil : on sent à quel point le triste quotidien est en train de miner notre jeune héros... La fin, avec les retrouvailles de ses anciens camarades, apportera tout de même son petit lot de réjouissance et une note d'espoir sur fond de compromis...

Alors qu'on pensait au départ assister à une comédie légère, on tombe rapidement dans le discours social qui n'est pas sans relever les multiples injustices qu'un pauvre employé doit subir. Humilié au travail, notre gars en est aussi pour ses frais à la casa avec des gamins qui ont tôt fait de juger leur père. Si la cellule familiale semble au bord du gouffre, les époux finissent toujours par se serrer les coudes pour tenter de survivre en ces temps de crise. Bien que le pauvre pater soit souvent un peu pathétique vis-à-vis de sa femme et ses enfants, tout s'arrange toujours (même mal), ou disons qu'on ne finit jamais par tomber totalement dans le désespoir. Dure réalité mais un petit soupçon de rire et d'espoir toujours salvateur. Le "choeur ", minimaliste, d'Ozu bat déjà très fort.   (Shang - 19/04/08)


 tokyo_no_korasu

J'ai trouvé ça un peu mineur quand même, malgré les indéniables qualités relevées par mon compère. Oui, Ozu s'affine et trouve de plus en plus son style futur ; oui il est d'une grande sobriété dans les sentiments, refusant à tout prix le sentimentalisme ou le mélodrame pur ; oui, c'est charmant et délicat. Mais le film a encore beaucoup de défauts, notamment cette construction complètement bancale : on dirait que certaines séquences ont été finalement coupées mais que le monteur en a gardé des traces sans faire gaffe. Pourquoi cette première séquence, par exemple, amusante mais inutile ? On y voit un collégien faire des pitreries devant ses camarades au cours de gym, et ça rattache le film à la série des "j'ai été...mais.." de Ozu. Mais après cette scène marrante, hop, saut dans le temps, et on change de personnage, comme si on avait ajouté cette ouverture à l'arrache pour faire long-métrage. Pareil pour cette histoire incompréhensible d'ours échappé de sa cage au zoo : il en est question, les héros se dirigent vers le lieu de l'évènement... et puis plus rien. Il y a comme ça de bizarres ellipses, qui donnent un aspect hétéroclite à l'ensemble. Du coup, qualité ou défaut, le film hésite entre les tons, entre les ambiances : jamais complètement tragique, jamais complètement comique, jamais complètement critique, il jongle avec les genres, et y perd un peu en homogénéité. Certes, il y gagne en finesse, les scènes trop lourdes étant tout de suite allégées par une scène comique, et vice-versa. Ozu glisse du mélodrame dans la comédie, ou l'inverse, et c'est agréable.

tokyy

Même si le rythme n'est pas toujours au taquet (on s'ennuie un poil à mi-chemin, et le gars développe chaque saynète jusqu'au bout du bout), il y a là-dedans suffisamment de jolis détails pour emporter le morceau. La très belle scène racontée par Shang de la cellule familiale qui se reconstruit à travers le jeu, avec ces échanges de regards incroyables, l'engueulade avec le patron, on est d'accord. J'y ajouterais pour ma part toute les scènes où les employés viennent récupérer leur salaire accompagné de la prime espérée. Ozu s'y montre d'une cruauté inattendue, dressant le portrait d'un groupe de collègues qui se jalousent, se jaugent, se méprisent à cause de l'argent. Celui-ci semble bien être l'ennemi avoué de tout le film : il corrompt, humilie et brise les couples. L'épouse du héros, que Dolto aurait vouée aux enfers (l'éducation du gosse, on croit rêver), est ni plus ni moins qu'une bitch vénale, préoccupée uniquement par son statut social et le qu'en dira-t-on, mais Ozu ne semble pas s'en rendre compte, montrant que c'est seulement le manque d'argent qui plonge la famille dans la détresse. L'image la plus forte, sous couvert de comique, est celle où un employé fait tomber ses yens dans le trou des chiottes ; observé à travers le trou de la serrure par son collègue, il plonge son bras dans la pisse pour les récupérer. Une image violente et directe des effets de la crise financière. Un Ozu intéressant, même s'il n'est pas complètement réussi.   (Gols - 06/10/14)

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