Le Pays du Silence et des Ténèbres (Land des Schweigens und der Dunkelheit) (1971) de Werner Herzog
Il est clair que c'est pas la fête à neuneu quand on est aveugle et sourd... Déjà se pose forcément le problème du langage, résolu grâce à un ingénieux alphabet situé sur les doigts de la main. C'est souvent l'une des seules façons possibles de communiquer, une ultime manière d'établir un "contact" avec le monde, chez ces personnes dont l'on a du mal, je pense, à deviner l'isolement... Fini Straubinger, elle-même ayant perdu la vue puis l'ouie durant l'adolescence suite à un accident qu'elle a eu à neuf ans - une sale chute dans des escaliers -, s'est donnée pour mission, régulièrement, d'organiser des repas et de visiter dans des instituts ou chez leurs parents des personnes qui souffrent de ces deux handicaps. Il est parfois hallucinant - et guère surprenant d'un autre côté, ce qui est d'autant plus terrible- de voir l'état de prostration de certains d'entre eux, notamment lorsqu'ils ont perdu la seule personne capable de communiquer avec eux, ou encore lorsqu'il s'agit de personnes aveugles et sourdes de naissance. C'est parfois assez édifiant d'essayer d'imaginer ne serait-ce qu'une seconde ce qu'ils peuvent ressentir. Si à l'aide d'amplificateur d'ondes et d'exercices tactiles (touché du visage pour donner à la bouche la forme du son!), certains enfants parviennent à prononcer des syllabes, voire des phrases, il est en revanche impossible de leur faire comprendre la moindre notion abstraite, que ce soit la "joie" ou la "fierté". Fini Straubinger a parfois tout le mal du monde à essayer de faire réagir son interlocuteur, son frère humain, mais elle fait preuve d'une volonté et d'un optimisme qui laissent pantois. Il y a vers la fin du reportage l'image de cet homme d'une quarantaine d'années, qui a passé toutes ces dernières années au bras de sa mère, qui part en solitaire dans un jardin, avant d'aller tâtonner un arbre : il y a dans sa démarche maladroite, ses hésitations, son air de guingois, toute la fragilité du monde et on se dit franchement qu'on est po les plus malheureux. Herzog trace son sillon pour parler des gens souvent laissés sur le bas côté et du langage humain sous sa forme la plus basique; il les accompagne lors de baptêmes de l'air, de visites d'un jardin botanique ou d'un zoo: ils en tirent souvent un énorme plaisir, presque parfois une extase, et on finit par se dire qu'avec nos yeux nous oublions sûrement parfois de voir les choses les plus simples. Un reportage d'une grande dignité qui force encore une fois le respect.
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