La Grande Illusion de Jean Renoir - 1937
Même après une bonne dizaine de visions, La Grande Illusion garde sa puissance intacte. Il y a là un mélange entre simplicité populaire et ampleur dans le fond, entre comédie de caserne et plaidoyer pour la fraternité, entre patriotisme vibrant et humanisme communiste, qui ne peut que faire tressauter le coeur. Ce film est une sorte de perfection, un point de non-retour dans le "grand film français d'antan", et Renoir semble bien avoir servi l'archétype même de ce cinéma simple, humain, et émouvant de l'entre-deux guerres.
Tout a été dit sûrement sur les lectures de ce chef-d'oeuvre : instillant subtilement une réflexion sur le sens profond de la guerre de 14, il enregistre la fin d'une époque marquée par cette guerre : fin d'une aristocratie désuète, symbolisée ici par un Von Stroheim engoncé physiquement et moralement dans les codes de sa caste et par un Fresnay qui a déjà un pied de l'autre côté ; fin d'une lutte de classes, joyeusement utopique, représentée par ce mélange entre prolos, bourgeois, cultivés et populos ; fin d'une bagarre entre les peuples, portée par cette histoire d'amour naissante entre l'Allemande Dita Parlo et le Français Jean Gabin. Renoir traite tous ses personnages à égalité, les plongeant dans le même bain de ce conflit absurde, où les combats sanglants se terminent autour d'un bon repas, où on peut plaisanter avec son geôlier, où on tient compte du malheur de l'autre camp. Comme à son habitude, il peaufine chacun de ses caractères, et malgré le nombre de ses acteurs, il accorde à tous un passé, une psychologie, une façon d'être, qui font de La grande Illusion un puissant plaidoyer pour l'Humain dans toute sa variété. Gabin, ouvrier simpliste et courageux ; Carette, archétype du titi parisien qui se prend pas la tête ; Dalio, Juif errant chaplinesque en diable ; Von Stroheim, solitaire enfermé dans sa culture ; Fresnay, héros aux gants blancs ; Itkine, dernier phare d'une culture littéraire étouffée. Tous sont crédibles, forts, beaux, et tous ont leur place dans cette histoire pleine d'héroïsme sans esbroufe et de patriotisme sans drapeau.
Toutes les scènes pourraient être citées, depuis ce dialogue écrit au millimètre entre les deux aristocrates enregistrant leur fin jusqu'à cette errance dans la neige de deux affamés épris de liberté, depuis cette évasion pleine de bruit et de mouvement jusqu'à ces simples séquences de partage entre les prisonniers. Les décors magnifiques, la musique pleine d'émotion, les acteurs somptueux, la mise en scène ample et sobre à la fois, tout est merveilleux dans La Grande Illusion. C'est un culte qui durera tant que dureront les hommes, du Cinéma avec 12 C majuscules.
Renoir est tout entier ici