LIVRE : Colère en Louisiane (A Gathering of Old Men) d'Ernest J. Gaines - 1983

Il y a des modèles lourds à porter. En décidant de décrire une "révolution tranquille" de la part de la communauté noire d'un bled en Louisiane, Gaines doit bien se douter que l'ombre de Faulkner va peser là-dessus. D'autant que Colère en Louisiane est presque un hommage à icelui, dans la construction même du récit : on voit se succéder une vingtaine de points de vue, tous écrits à la première personne, pour tenter de faire le tour de l'évènement (le meurtre d'un propriétaire blanc par un métayer noir, et la journée qui suit, entre confrontation et rébellion). Hommes, femmes, enfants, Blancs, Noirs, tous sont convoqués pour apporter leur point de vue, dans un montage plus proche du monologue intérieur que du témoignage en cour d'assise.

Alors forcément, petit à petit, la comparaison avec Faulkner finit par faire pencher la balance en faveur de ce dernier. Gaines ne parvient que rarement à donner un véritable caractère aux protagonistes qui s'expriment tour à tour : tous sont mélés en une seule langue, un seul style, mi-familier mi-littéraire, et le livre ne tient pas son pari jusqu'au bout. Qu'ils soient jeunes ou vieux, éduqués ou non, tous les personnages semblent ne faire qu'un, sans que Gaines n'arrive à rendre chaque point de vue unique. Si bien que le livre tourne vite au système, au gadget sans intérêt. Heureusement, l'histoire est suffisamment forte pour faire oublier cette écriture palotte, et tout ça se suit sympathiquement. Le gars sait faire monter la pression, sait gérer une ambiance, et utilise très bien la lenteur de rythme pour rendre son atmosphère épaisse et nerveuse. Il est également pas avare en personnages au verbe rare, quitte à charger un peu son écriture de solennité et de soit-disant non-dit un peu soûlants. On a déjà vu 1000 fois ce genre de personnages trop chargés. Seul se dégage un sheriff bien dessiné, dépassé par les évènements, et qui passera une grande partie du livre assis sur son cul alors qu'on s'attendait à le voir gérer tout ça en grand pro.

Bref, un petit livre, pas déplaisant, un peu inutile. Mieux vaut (re)lire l'intégrale Faulkner.