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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
27 octobre 2019

La Maison du Docteur Edwardes (Spellbound) d'Alfred Hitchcock - 1945

dalihitch7

Même quand ils sont imparfaits, les films de Bouddha sont toujours exceptionnels. Ça fait quand même vachement du bien. Spellbound, et c'est sa spécificité, réussit le pari improbable de faire reposer le suspense sur la seule psychologie de son héros. Plus que dans Marnie ou Vertigo, auxquels on pense forcément dans ce portrait des déviances psychologiques, celui-là ne joue que sur le tableau du monde intérieur de Gregory Peck : pas de violence extérieure (ou presque, le dernier quart d'heure tiré par les spellboundcheveux ne servant visiblement qu'à contenter les fans d'intrigues policières), pas de méchant, et un parcours géographique qui épouse les seuls contours du "roman de ré-apprentissage" du personnage. Hitch renouvelle brillamment sa chère thématique du faux coupable, en l'approfondissant de façon vertigineuse : ici, l'enquête ne va pas consister à trouver le vrai meurtrier pour se disculper, mais à découvrir en soi l'innocence enfouie. Cela donne lieu à une sorte de fouille intime du plus bel effet, surtout grâce à Ingrid Bergman, assurément un des plus beaux personnages de l'oeuvre de Hitch : elle est obligée de résoudre son enquête, d'innocenter son amoureux, justement pour justifier son amour, pour se prouver à elle-même que ses sentiments sont justes. Assez moral, tout ça, c'est vrai : ne pouvait-elle pas aimer Peck alors même qu'il était coupable ? Mais le jeu de Bergman, et l'amour total avec lequel Bouddha la regarde, justifient cette brillante idée. Du coup, on assiste aux agissements d'un couple résolument barré : lui cherchant en son âme son innocence primale (je suis à deux doigts de prononcer le nom d'Adam), elle interrogeant sans cesse sa part de douceur, refusant de voir sa violence.

Malheureusement, Peck n'est pas à la hauteur de sa partenaire, et on finit par se désintéresser un peu de son cas, lui préférant la profondeur trouble de Bergman. Il semble avoir trouvé dès le début un truc qui va faire craquer les filles, un petit tic de bouche, duquel il abuse sans vergogne, ne cherchant pas plus loin dans 434313_570764la construction de son personnage pourtant fascinant. Il surjoue la terreur à chaque souvenir qui émerge de sa mémoire d'amnésique, et Hitch préfère le faire s'évanouir toutes les 2 minutes plutôt que d'insister sur ses scènes de charme assez plates. Spellbound souffre beaucoup de ses dialogues, et trop de scènes sont simplement explicatives, filmées sans style dans des champs/contre-champs platounets. Pourtant, les théories de Freud semblent avoir été potassées, même si Hitch s'amuse à les caricaturer à l'extrème ("Faites de beaux rêves... que nous analyserons demain au petit déjeuner", sussure le vieux psy). L'humour est d'ailleurs souvent très fin, notamment dans ce court plan hilarant sur le visage extasié d'amour de Bergman en même temps qu'elle prononce le mot "pâté de foie" (il faut le voir pour le croire : jamais une star n'aurait accepté ça d'un autre cinéaste), ou dans cette coquine scène de dialogues où la même Bergman rêve des implications érotiques du rêve d'un patient (qui a rêvé d'un fouet de cuisine en pensant à elle).

Il y a bien sûr des tas de choses magnifiques dans la mise en scène : la séquence du rêve, bien sûr, conçue par un Dali qui nous fait une sorte de compilation de ses motifs ; les craquantes transparences sur la Spellbound_20pic_204descente en ski ; l'énorme flingue de la fin, maquette grossière du genre à me faire hurler de joie ; le coup de foudre Peck/Bergman, monté en orfèvre ; le flash-back sec comme un coup de trique sur la mort d'un enfant ; un très beau jeu d'ombres à la Fritz Lang lors d'un délire meurtrier du héros ; et surtout un plan subjectif absolument illogique sur un homme qui boit un verre de lait : celui-ci finit par rentrer complètement dans son champ de vision, comme si le verre était immense. Dommage que les injections de scènes purement spectaculaires ne soient pas à la hauteur de l'ensemble : le suspense est souvent comme rajouté, à l'image de cette trop longue séquence dans le hall d'hôtel, quand Bergman cherche à deviner le numéro de la chambre de son amoureux, séquence qui tombe à plat faute de réel danger, de réelle tension. (Gols 07/01/08)


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C'est vrai que le film est assez bavard, manque d'extérieur ; heureusement que la musique de Miklós Rózsa n'est pas en reste pour tenter de toujours mettre le film sous tension. J'avoue, pour ma part, même quand le film patinait un peu sur place, m'être toujours accroché à l'immense Ingrid Bergman dont le plumage vaut le ramage. Peck est à mes yeux tout aussi beau (c'est la journée de la gentillesse aujourd'hui) mais il est vrai comme le souligne mon camarade que son jeu manque parfois un peu de relief - une fois qu'il a trouvé le motif de la statue (un deux trois soleil), il s'en contente un peu, coupant son souffle avant de tomber dans les vapes - il se réveille toujours rapidement pour embrasser sa douce mais qui ne montrerait pas autant d'allant. Certes, le discours des psychiatres ressemblent un peu parfois à la "psychiatrie pour les nuls", chacun prenant le temps de bien nous expliquer ce qu'est un symbole, un complexe de culpabilité et j'en passe. Heureusement, c'est Hitch à la baguette et il lui suffit d'une lettre, d'un rasoir ou d'un verre de lait (Hitch and the glass of milk... toute une histoire de pureté apparente porteuse de danger...) pour que le suspense pointe le bout de son nez - il y a aussi une immense horloge sur le bureau de Bergman qui ne sert strictement à rien mais on admire tout de même la mise en scène de l'objet (oui, on laisse un peu tout passer au maître). 

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Le film est considéré un peu par excès comme un film noir (certes Peck est un vétéran de la seconde guerre mondiale et sa brûlure fait partie de son trauma) avec seulement deux séquences qui tombent pile-poil dans le genre : la mort du gamin (bien belle scène d'empalement qui surprend son homme) et cette magnifique scène avec notre ami Peck hypnotisé par son rasoir qui s'en va, pense-t-on, égorger toute la maisonnée : une ambiance d'ombre et de lumière magnifique qui fout les pétoches avant que le film ne vire au gore !!!? Que nenni, Hitch s'en sortira avec une petite pirouette pleine d'ironie : zéro carnage et on retrouve notre héros dormant tout son saoul sur un canap' vaincu par le petit prof à barbichette, moins naïf qu'il en avait l'air. Le rêve également est une séquence incontournable avec un Dali qui se lâche et un Hitch qui fait du Welles expressionniste (!) en s'amusant des profondeurs de champ dans un décor tout biscornu (magnifique effet que ses yeux... en trompe l'oeil). C'est sûr que parfois on pédale un peu dans la choucroute avec ces explications symboliques à deux balles (l'homme masqué tient une roue (molle...) : il s'agit donc d'un révolver - ouais, ça marchait aussi avec une montre, non ?) mais on est prêt à innocenter à n'importe quel prix le Peck pour redonner le sourire à l'Ingrid - et lui donner raison. On assiste à une petite variation sur le faux coupable qui cherche à s'innocenter : on est face ici à un faux coupable qui pense qu'il n'est point innocent - joli petit biaisement. Moins d'actions, moins de frisson mais un couple d'amants (nouveau coup de foudre) quasi mythique auquel on donnerait le bon dieu sans confession. Film sage en un sens mas au suspense tout aussi sexy... 8500ème chronique, pas rien mon colon ! (Shang 27/10/19)

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Commentaires
G
Ah oui oui, très bon film, c'est évident. Une manière d'aborder Freud sans le lire, ce qui est plutôt sympa.
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P
J'ai vu ce film dernièrement dans le cadre du cours de philo sur Freud et j'ai beaucoup aimé. C'est très imparfait, c'est sûr, mais ça reste du Hitch quoi :)
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