Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
19 décembre 2007

Médée (Medea) de Pier Paolo Pasolini - 1969

callas01

Très beau film que ce Medea, au sens purement esthétique du terme. Jamais peut-être le cinéma de Pasolini n'a su aussi bien filmer les rythmes et les lumières de la nature, n'a su aussi bien introduire la solarité dans chacun de ses plans. La tragédie se déroule en pleine lumière, dans une absence d'hystérie qui tranche pas mal avec les visions habituelles du mythe, qui font de Médée une furie hystérique et de son univers un pasolini28modèle de barbarie païenne. Ici, le film est calme, long, tout en immenses digressions, en rêveries (l'un des premiers plans montre un enfant qui s'endort à l'écoute de la liste de ses ancêtres) et en images qui sortent de la trame. Frôlant souvent le documentaire, Pasolini s'arrête sur ces processions sanguinaires s'apprêtant au sacrifice humain, sur ces pleureuses affolées, sur ces rites mystérieux, et on reconnaît bien là l'anar chrétien de L'Evangile selon Matthieu. Caméra à l'épaule, il filme toujours l'humain au plus près, quitte à se laisser aller à des scènes purement fantastiques qui rompent avec cette ésthétique réaliste : magnifique plan sur une femme en feu au fond de l'écran, costumes barroquissimes et renversants, musique étrange mélangeant les styles (avec une grosse influence asiatique quand même). Bref, esthétiquement, on a droit à du grand art, pour peu qu'on se laisse aller à cette débauche de couleurs et à ces rythmes allanguis.

MedeeMais on est aussi en droit de préférer le Pasolini d'Edipo Re, celui qui flatte le mauvais goût, celui du cinéma impur. A trop regarder ses paysages, il en oublie souvent d'être dérangeant, il en devient presque propre. C'est la grande limite du film : il est assez lisse, y compris dans les scènes forcément attendues de la coucherie avec Jason ou du meurtre des enfants. Von Trier, dans son Médée à lui (pour le coup totalement barré), aura un courage plus grand dans son abord du mythe, en faisant un vrai film sauvage et malaisé. Pasolini semble trop fasciné par ses lumières, et surtout par le visage curieux et bancal de Maria Callas, qu'il scrute en d'interminables gros plans. Certes, la présence de la donzelle est indéniable, mais vieillissante et trop fardée, elle est souvent trop Maria Callas, et pas assez Médée. On aurait aimé une moins grande star, on aurait aimé que PPP évite ce coup médiatique et travaille plus sur son discours. Car si discours il y a, il est souvent noyé medee6sous ces gros plans fascinés. Medea est très brumeux ; bon, c'est le mythe, on en connait les grandes lignes ; n'empêche qu'on est souvent perdu dans ce labyrinthe de silence, dans ces scènes qui refusent de se rendre lisibles. L'ennui, du coup, fait son apparition, avec l'impression que Pasolini a fait son film tout seul, jugeant qu'il est bien suffisant de se comprendre soi-même sans prendre la peine de transmettre aux autres. En gros, je n'ai pas compris grand-chose : on s'accroche aux branches, mais si on n'est pas au fait de chaque évènement du mythe, on se sent vite abandonné. Un film d'érudits, super, pour érudits, too bad.

Mais quand même : Terzieff est poilant en centaure.

Commentaires
S
Le Francesco a les clés de la maison mais aussi du blog... Pendant un mois cela va élever le niveau! Proutouie, prends des notes, interro écrite en rentrant.
Répondre
G
Ah, Francesco Rimini, tu m'es précieux comme la frite aux Belges. Merci pour cette analyse d'hyper-érudit, qui m'échappe en grande partie, n'étant pas vraiment au fait de la production pasolinienne, mais qui montre une grande intelligence, une grande culture, et une grande ouverture d'esprit. <br /> J'aime Fellini, et j'aime Pasolini. Il doit y avoir une part de schyzophrénie là-dedans, mais le fait est. L'un titille mon petit coeur, 'autre me chafouine le cortex. Et j'aime beaucoup Théorème, pour ma part, y compris et surtout dans ses côtés "catholico-marxisto-freudiens".<br /> Bon, mais je sens que je peux pas lutter avec tes mots. Je m'incline donc admirativement. Je me taperai d'autres PPP juste pour le plaisir de te lire.
Répondre
F
Qu'on ne me fasse pas dire ce que je ne dirai pas. Mon nom suffira a la prouver, je suis fellinien et par conséquent membre de la secte adverse des pasolinistes et de leurs épigones bertolucciens. Mais, bien entendu, en bon théologien, je connais mes hérétiques et si Saint Augustin connaissait bien ses manichéens et Luther, ses catholiques, j'ai vu mes pasolinis. C'était presque fatal. PPP n'est-il pas "le sheriff" qui guida FF dans la périphérie romaine alors que ce dernier préparait "Les nuits de Cabiria", cette tellement pittoresque épopée pleine de prostituées sympas et qui ne perdent pas espoir (épopée a laquelle on peut dire que répondent les deux premiers opus pasoliniens "Accatone" et "Mamma Roma")? Les pasoliniens (et j'en ai rencontré que je respecte comme hommes et même comme cinéphiles) ne prétendent-ils pas aussi que le "Satiricon" (le plus grandiose et le plus profond péplum jamais réalisé) n'est en fait qu'une manifestation de jalousie pour "l'œdipe roi" (Il est vrai que FF piqua le décorateur de PPP mais franchement, est-ce que ça change quelque chose a la supériorité du premier)? En tant que Fellinien, je me devais de voir et parfois de "me taper" les films de Pasolini. <br /> Pour contextualiser un peu les petites remarques qui suivent sur Médée, il est peut-être judicieux de commencer par distinguer dans le corpus pasolinien, deux types de films ou pour être plus précis deux types de scénarios. D'une part, les scénarios que Pasolini a écrit intégralement et qui sont en général horriblement catholico-marxisto-freudiens (si on exclut les premiers films "néo-réalistes' déjà cites et qui sont un peu inclassables dans cette classification, les films de cette catégorie sont "Théorème", "Porcherie"et "des oiseaux petits et gros" (J'ai un faible pour celui-la à cause de la scène sur Saint-François et les oiseaux mais bref...). C’est peu d’écrire que ce sont ces films qui, de tous les pasolinis, ont le plus vieilli. Difficile de sauver quoi que ce soit dans ces histoires. Rien ne supporte plus mal les outrages du temps que les provocations sans humour, surtout quand elles ont été conçues hâtivement (Pasolini était un auteur prolifique qui se levait la nuit pour prendre des notes et qui, trop souvent, ne les déchirait pas le lendemain matin). Cela dit, on ferait un mauvais procès à l’auteur si on ne rappelait pas qu’il était loin d’être le seul à l’époque à provoquer à la va vite (au fond, les défauts de ces films sont-ils fondamentalement différents de ceux du Godard de ces années-là ou de ceux de Dusan Makavejev. Sont-ils surtout pires que ceux de nos chers provocateurs contemporains ? Même si ces films ne sont pas, et c’est un euphémisme, ma tasse de thé, je ne suis pas contre ceux qui essayent d’y récupérer quelque chose. Il n’y a pas de mauvaises raisons d’aimer et tellement de haïr, n’est-ce pas…). Toujours est-il que Pasolini n’a pas fait que cette sorte de films et surtout pas écrit que cette sorte de scénarios. <br /> Face à eux, on trouve ces films dont le scénario s’inspire de l’un ou l’autre texte, même s’il a été considérablement remanié en fonction des préoccupations de Pasolini :<br /> « L’évangile », « Œdipe », « la trilogie de la vie », « Salo » et bien entendu « Médée ». <br /> L’indéniable attrait de ces films, surtout si on les compare, aux films de la première catégorie (mais libre à vous de considérer les premiers aussi nazes, nuls à chier et pourris (avec un ou deux R et même sans S) que les seconds), l’indéniable attrait de ces films donc, comme le souligne l’article, c’est bien sûr d’abord leur esthétisme. Films en couleurs (sauf « L’évangile »)truffés de références picturales (les casques de soldats gardant le Christ imités de Piero della Francesca, les culs à l’air venus de Breughel dans « les contes de Canterbury » etc. ), ils sont très beaux à voir et amarcord que c’est justement ce qui plaisait au bibliothécaire de mon école secondaire, Monsieur Vanaert (qui, par la suite, devint Madame Vanaert, événement qui me fit soupçonner que son goût pour le « decameron » n’était en définitive peut-être pas que purement esthétique). Mais, au-delà de cet aspect purement formel, il y a sans doute autre chose dans les films de Pasolini « inspirés » (aux deux sens du terme, bien entendu). Mon impression est que Pasolini, au cinéma, n’est jamais parvenu à s’exprimer de manière convaincante sans le support d’un texte extérieur et qu’il n’a jamais réussi à faire quelque chose de bon autrement. Ce n’est sans doute pas un hasard. Beaucoup d’italiens qui ont connu cette époque disent que Pasolini était avant tout un extraordinaire commentateur d’actualité. Un certain nombre d’entre eux le considère d’ailleurs encore comme un véritable prophète, un homme capable de voir dans la situation actuelle, les germes d’un avenir plutôt sombre. <br /> Le contexte historique que commentait, par exemple, « théorème » ayant disparu, il nous est sans doute difficile de voir à quoi ce film faisait allusion. Par contre, les films inspirés, puisqu’ils commentent des histoires moins éphémères, nous parleraient plus. C’est une hypothèse mais je ne cherche pas spécialement à l’étayer. Je veux juste montrer que je ne suis pas anti-pasolinien épidermique. <br /> De toutes façons, le fait est que les films inspirés ont moins vieilli ou pas vieilli de la même manière que les autres. On rigole des costumes mais pas forcément des histoires. <br /> Venons-en à Médée. Le film, tiré d’Euripide, appartient sans conteste à la catégorie des films inspirés de Pasolini. Il se divise en deux parties, si mes souvenirs sont bons : une première partie située en Colchide et tournée en Cappadoce, une deuxième se déroulant en Grèce et filmée (je crois mais ça mériterait d’être vérifié) en grande partie à Pise. Il oppose donc un univers rocheux, désertique et sauvage à un monde roman et civilisé. Cette opposition est centrale dans le film et ne se limite pas aux décors. Elle se retrouve entre les personnages (Médée et Jason), dans les personnages (Jason enfant et Jason adulte) et surtout dans le style. La partie Colchide est tournée caméra à l’épaule et donne lieu à une vingtaine de minutes sans dialogue à proprement parler. Elle fait penser à certains documentaires ethnographiques de Jean Rouch. La partie grecque est beaucoup plus sage et posée tout comme la caméra. <br /> La clé de cette dichotomie est peut-être donnée dans la scène où Jason rencontre les deux Chirons ou plutôt Chiron tel qu’il le voyait enfant, sous la forme d’un centaure et Chiron tel qu’il le voit adulte, sous la forme d’un simple professeur. Une ligne de dialogue me reste en mémoire (mais ici aussi, il faudrait vérifier). Chiron parle dans cette scène des « deux âges de la vie », « celui où l’on ressent les choses » et « celui où on les exprime ». <br /> Cette opposition du « ressenti » à l’ « exprimé » qui double celle du « sauvage » et du « civilisé », de l’ « enfant » et de l’ « adulte » renvoie à celle du « filmé » et du « dialogué », du « presque documentaire » au « presque théâtral » et constitue le socle de l’esthétique du film. Elle est sans doute aussi très intimement associée à l’idée que Pasolini se faisait du cinéma. On sait que PPP était, déjà à l’époque d’ « Accatone », un poète et un écrivain connu. On sait aussi que l’écrivain PPP cherchait dans ses écrits à se rapprocher d’une certaine réalité par le choix de ses sujets et surtout par celui de son vocabulaire. A une époque où l’unification linguistique de l’Italie est en train de finalement se faire, Pasolini est le poète qui écrit en Frioulan et le romancier dont les livres se terminent par un glossaire destiné à éclairer les mots d’argots et de dialectes qui abondent dans sa prose, démarche qui n’est pas tout à fait étrangère à Queneau et surtout à Céline. Et quand il décide de passer au cinéma, il explique son choix par une volonté de s’approcher encore plus près des choses et de passer de la poésie des mots à celles des choses brutes. Il faudrait sans doute jeter un coup d’œil aux écrits sur le cinéma de PPP mais je ne me crois pas me tromper en parlant de « poésie des choses brutes » et pas de « poésie des images ». Pasolini est contemporain de la théorie de Bazin sur le « réalisme ontologique » de la photographie et du cinéma. L’image de cinéma n’est pas pour lui seulement une image comme pourrait l’être une peinture mais elle est aussi comme une empreinte prise sur la réalité. Elle est donc le moyen idéal pour faire passer le « ressenti » sans avoir recours à « l’exprimé ». <br /> Cette façon de concevoir le cinéma, cette façon surtout d’opposer le « parler » au « filmer » convient parfaitement aux marottes psychanalico-marxistes de PPP. Si, comme le suggère Chiron, « l’expression » ne peut normalement pas être contemporaine de la « sensation », si la « poésie des mots » s’oppose à la « poésie des choses brutes », n’est-ce pas sur un mode voisin de celui où « l’inconscient », l’ « infrastructure » et le « passé » s’opposent à « la conscience », la « superstructure » ou le « monde moderne ». <br /> L’histoire de Médée comme la raconte Pasolini, c’est l’histoire d’une femme qui passe de la première partie de l’opposition à la seconde. Si ce film reste à mon sens le meilleur film de Pasolini (mais je l’ai vu il y a longtemps), c’est précisément en raison de la façon dont il organise ces différentes oppositions selon une architecture assez rigoureuse. <br /> Il se peut que tout cela ne repose dans le fond que sur de vagues souvenirs et que je ne tiendrais pas le même discours si je venais de revoir le film. De toutes façons, comme le dit Michel Foucault, on a beau dire ce qu’on voit (ce qu’on a vu ?), ce qu’on voit ne loge jamais dans ce qu’on dit, et on a beau faire voir, par des images, des métaphores, des comparaisons, ce qu’on est en train de dire, le lieu où elles resplendissent n’est pas celui que déploient les yeux, mais celui que définissent les successions de la syntaxe ». Voilà sans doute une des raisons pour lesquels Pasolini avait besoin du cinéma. Et on ne peut lui dénier ce besoin sous prétexte que parfois (mais pas toujours et pas à propos de Médée) on se demande si le cinéma avait vraiment besoin de lui.
Répondre
G
Ma théorie est la suivante : nos deux compères sont lycéens, ou collégiens, et leur prof a dû leur passer ce film dans le cadre d'un cours (de latin? bizarre), en leur demandant un travail écrit dessus. Ils sont allés chercher sur Internet, encore tout chafouins d'avoir dû se taper ce film (difficile). D'où.<br /> Ca se tient, nan ?
Répondre
B
Je l'avoue, je n'ai pas vu ce film de Pier Paolo Pasolini, qui peut-être ne me plairai pas de toutes façons (les goûts, les couleurs, tout ça...Bon.). Par contre, je sais que Pasolini est un cinéaste franchement réputé pour son austérité, sa faculté de tout intellectualiser, et son intransigeance artistique. A la lecture de ces commentaires pour le moins tranchés, qui témoignent d'une spontanéité, d'une originalité, et d'une vivacité d'esprit toutes particulières, je me demande ce qui a poussé lolo et joulay à regarder ce film, par quel concours de circonstances ce sont-ils retrouvés devant un film de Pasolini...? Curieux...
Répondre
Derniers commentaires