Médée (Medea) de Pier Paolo Pasolini - 1969
Très beau film que ce Medea, au sens purement esthétique du terme. Jamais peut-être le cinéma de Pasolini n'a su aussi bien filmer les rythmes et les lumières de la nature, n'a su aussi bien introduire la solarité dans chacun de ses plans. La tragédie se déroule en pleine lumière, dans une absence d'hystérie qui tranche pas mal avec les visions habituelles du mythe, qui font de Médée une furie hystérique et de son univers un modèle de barbarie païenne. Ici, le film est calme, long, tout en immenses digressions, en rêveries (l'un des premiers plans montre un enfant qui s'endort à l'écoute de la liste de ses ancêtres) et en images qui sortent de la trame. Frôlant souvent le documentaire, Pasolini s'arrête sur ces processions sanguinaires s'apprêtant au sacrifice humain, sur ces pleureuses affolées, sur ces rites mystérieux, et on reconnaît bien là l'anar chrétien de L'Evangile selon Matthieu. Caméra à l'épaule, il filme toujours l'humain au plus près, quitte à se laisser aller à des scènes purement fantastiques qui rompent avec cette ésthétique réaliste : magnifique plan sur une femme en feu au fond de l'écran, costumes barroquissimes et renversants, musique étrange mélangeant les styles (avec une grosse influence asiatique quand même). Bref, esthétiquement, on a droit à du grand art, pour peu qu'on se laisse aller à cette débauche de couleurs et à ces rythmes allanguis.
Mais on est aussi en droit de préférer le Pasolini d'Edipo Re, celui qui flatte le mauvais goût, celui du cinéma impur. A trop regarder ses paysages, il en oublie souvent d'être dérangeant, il en devient presque propre. C'est la grande limite du film : il est assez lisse, y compris dans les scènes forcément attendues de la coucherie avec Jason ou du meurtre des enfants. Von Trier, dans son Médée à lui (pour le coup totalement barré), aura un courage plus grand dans son abord du mythe, en faisant un vrai film sauvage et malaisé. Pasolini semble trop fasciné par ses lumières, et surtout par le visage curieux et bancal de Maria Callas, qu'il scrute en d'interminables gros plans. Certes, la présence de la donzelle est indéniable, mais vieillissante et trop fardée, elle est souvent trop Maria Callas, et pas assez Médée. On aurait aimé une moins grande star, on aurait aimé que PPP évite ce coup médiatique et travaille plus sur son discours. Car si discours il y a, il est souvent noyé sous ces gros plans fascinés. Medea est très brumeux ; bon, c'est le mythe, on en connait les grandes lignes ; n'empêche qu'on est souvent perdu dans ce labyrinthe de silence, dans ces scènes qui refusent de se rendre lisibles. L'ennui, du coup, fait son apparition, avec l'impression que Pasolini a fait son film tout seul, jugeant qu'il est bien suffisant de se comprendre soi-même sans prendre la peine de transmettre aux autres. En gros, je n'ai pas compris grand-chose : on s'accroche aux branches, mais si on n'est pas au fait de chaque évènement du mythe, on se sent vite abandonné. Un film d'érudits, super, pour érudits, too bad.
Mais quand même : Terzieff est poilant en centaure.