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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
6 octobre 2007

Five (Five dedicated to Ozu - پنج) d'Abbas Kiarostami - 2003

Il est clair qu'on est autant rassuré par le "Making of Five" commenté par Kiarostami lui-même qui revient en partie sur son projet que par le film lui-même qui disons le tout de suite le sourire aux lèvres a de quoi destabiliser quand on ne connaît point le bonhomme et son sens de l'expérimentation.

five

5 plans fixes donc qui se résument assez facilement: un bout de bois qui se sépare et part à l'eau pendant que l'autre bout repose sur la plage, des gens qui se croisent en bord de mer, un groupe de chien sur la plage qui regarde la mer (ça existe les chiens-marins?) avec une image qui peu à peu devient d'un blanc immaculé, 800 canards qui défilent à la queue-leu-leu devant la caméra et un dernier morceau de bravoure (30 minutes dont une bonne partie complétement dans le noir comme dans ABC Africa) sur un étang avec des grenouilles qui croassent. Je comprends que l'on puisse crier au foutage de gueule d'autant que le Abbas avoue avoir planté sa caméra sur la plage avant de s'endormir pour la troisième partie ou encore qu'il permet au spectateur de s'endormir pendant le film lui assurant qu'il ne ratera rien... Certes, cela a de quoi dérouter - mais chez le Kiaro l'intérêt est toujours ailleurs pour ne pas dire l'abbas.

En toute humilité il répète à qui veut l'entendre que le spectateur est libre de voir ce qu'il veut dans ses films: on ne peut d'ailleurs (moi qui suis d'une âme rêveuse et imaginative parfois, surtout après la grosse cuite d'hier et le barbecue sur le balcon avec nos amis de la police chinoise en bonus) s'empêcher d'y voir une allégorie de la séparation (amoureuse ou passé/présent) dans une forme naturelle et poétique parfaitement mise en scène par la nature elle-même. Car Kiaro n'a pas triché, pas de fil blanc, d'explosion à distance pour réaliser cet incroyable tour de force, juste une confiance placée dans les petits hasards de la vie et la force du destin; partant simplement de l'idée que ce bout de bois avait l'air de vouloir repartir en mer, il s'est mis à tourner cette séquence qui apparait au final réellement magique dans son déroulement.

five_3

Pour la séquence sur les chiens, on note qu'à la fin reste trois petites tâches noires au bas de l'écran comme trois petits point au bas d'une page à écrire. Abbas, qui aurait voulu que cette séquence passe en boucle, comme un cycle infini, revient longuement sur ce passage donc où on croit au début qu'il se moque de nous en reconnaissant qu'il s'est endormi; en fait, et c'est là encore que le concept prend tout son sens, il avait prévu simplement de filmer un lever du jour mais quelle ne fut point sa surprise de voir que des figurants imprévus avaient pris possession de sa scène. Lorsqu'il commence à partir dans des grandes tirades dans le documentaire sur le fait qu'il avait toujours pensé que les chiens remuaient la queue quand ils étaint content de voir leur maître et qu'il s'est rendu compte en réalisant ce court "non-réalisé", en tout cas "non-dirigé" que lorsqu'ils se retrouvent, les chiens, en bande de potes, ils remuent aussi leur queue comme pour se dire bonjour ou t'as vu le temps qu'il fait, changent de place ensemble comme s'ils prenaient une position plus confortable sur un sofa..., on se demande s'il a pas un peu trop fumé quand même (l'iranienne, ça doit être fort, non?). Mais cette idée même d'avoir créé sans le vouloir cette séquence le remplit d'un grand trouble et d'une grande émotion et de citer Bresson ou Valery pour parler du processus de création, évoquant entre autre le besoin pour le créateur de se surprendre lui-même... Trop fort l'Abbas...

five2

Enfin il est fier d'avoir eu 800 figurants (bon c'est des canards, chacun son truc) pour réaliser un cours, lui qui a du mal à gérer d'habitude plus de deux acteurs (bon mais les bagnoles ça il connaît, l'enfoiré). C'est assez fendard de voir ces canards les uns derrière les autres, défiler chacun avec son propre style, et on se demande presque pourquoi d'un coup ils ralentissent, accélèrent, rebroussent-chemin en un exercice qui fait un étrange écho à la deuxième partie avec des êtres humains et des pigeons. Pour un peu qu'on fabule sur les canards, là encore à chacun d'y voir ce qu'il veut, moi j'ai pensé tout à coup aux électeurs de Sarkozy quand ils votaient bêtement en masse mais cela reste personnel. En tout cas, le plus grand court jamais réalisé sur les canards.

Kiarostami conclue le documentaire en demandant à tout éventuel spectateur de son film d'être zen et de se laisser prendre et bercer par le calme de ses images, loin des sentiers battus des aventures trépidantes d'un héros américain ou de toute convention narrative. On peut comprendre aisément que certains n'y voient qu'un exercice de style d'une vacuité totale; mais pour un peu qu'on se penche sur ces images, cet univers est au final beaucoup plus profond, riche et sensé qu'il n'y paraît au premier abord.

[Mon Bibice va être content... C'est un peu mon mea culpa artistico-contemporain (à part Ten, je ne suis pas un grand fan du gars encensé par tout bon cinéphile qui se respecte), cela dit il faut se méfier de l'eau qui dort, eheh]   (Shang- 26/04/07)


D'abord, unefive_4 chose importante : quand j'ai éteint mon lecteur de dvd après la vision de Five, ma télé s'est branchée automatiquement sur les chaînes généralistes : sur la 2, Modiano ; sur la 3, un reportage sur Sarajevo ; sur la 5, une interview de Gunter Grass... Parfois, la vie est bougrement belle. Parenthèse refermée.

Bon, je préfère écrire ce petit texte avant d'avoir vu l'explication documentée du bon Abbas, histoire de ne pas être influencé. Réagissons épidermiquement, on verra après.

Five est une merveille, un de ces bidules qui ne vous arrivent qu'une fois dans votre vie, l'art conceptuel dans son aspect le plus direct et le plus accessible, le film qui vous fait dire que, oui, c'est bien là que se trouve l'avenir du cinéma, dans lkiarostami_five_still'aller-retour constant entre cinéaste et spectateur, dans la "partie-prenante" de ce dernier dans la création, dans l'effacement du réalisateur au profit de son regard, sans barrière. Warhol l'avait déjà tenté, Cavalier aussi, et puis Kiarostami lui-même dans Ten, et en voici la preuve la plus concrète. Comme l'a brillament résumé mon collègue, ces cinq plans fixes ne sont intéressants que par la théorie qui les sous-tend. Nul émerveillement esthétique là-dedans, ni de rêverie béate devant le bruit de la mer ou le ressac des vagues. Kiarostami poursuit sa recherche, creuse son idée d'un cinéma sans frontière, sans le prisme d'un regard de cinéaste. A priori, Five pourrait être l'avènement de cette idée, le film-limite après lequel preuve est faite : il n'y a pas besoin de metteur en scène pour "faire cinéma", il suffit de poser sa caméra et de s'endormir. Oui, mais pas si simple : chacun de ces cinq plans est un contre-exemple éclatant, et le cinéaste est bien là, omnipréfive2sent et subjectif. C'est d'ailleurs un peu la limite du film : on aimerait bien voir la réalité se faire toute seule, tenter de voir si le monde est intéressant sans l'intermédiaire d'un gars pour le donner à voir, mais Kiaros ne va pas au bout de cette tentative. Le bout de bois du 1er plan est évidemment placé judicieusement pour être emporté par les flots ; la conversation impromptue entre les petits vieux au 2ème plan est trop miraculeuse pour être honnête ; la technique du 3ème, qui transforme une vision objective en performance visuelle, est trop visible ; les canards du 4ème sont visiblement dirigés, et l'amplification du son de leurs pas sur le sable trop marquée ; et le cadre en plongée sur l'étang, associé à la présence "comme par hasard" d'un orage qui éclaire tout ça, est trop calculée dans le dernier plan. Kiarostami est un démiurge sans discrétion, et sa présence est visible partout. Pourquoi, étant donné son concept de base, ne pas planter effectivement sa caméra sur le sable, et laisser tourner ? On aimerait que la nuuntitledit soit une vraie nuit, que les canards se déplacent dans un hasard complet, que le bout de bois sorte du cadre. Abbas n'arrive pas encore à s'exclure totalement, et dans ce sens Ten était plus réussi.

Mais cette réserve passée, on assiste quand même à un spectacle unique. Ma préférence va à ce troisième plan, qui se sature très lentement de blanc, jusqu'à obtenir sans qu'on l'ait perçu une toile de Rothko, puis une toile de Klein. Trois bandes : une blanche (la plage), une bleue sombre (la mer) et une bleue pâle (le ciel), qui finissent par devenir une seule, d'un blanc aveuglant, avec juste ces quatre tâches de noir que sont les chiens. Et puis la dernière "scène", très longue suspension hors de tout five_420repère, où Kiarostami ose ce que personne avant lui n'avait osé, l'écran noir pendant 20 minutes, le cinéma total. On imagine ce que ça peut donner dans une salle de cinéma, dans une expérience publique. Jamais on ne s'ennuie au spectacle de Five, avide qu'on est de ce qui peut advenir (le canard suivant va-t-il marcher vite ou lentement ? Quand est-ce que le petit vieux va quitter le cadre ? La lumière de la lune va-t-elle durer longtemps après qu'elle soit passée derrière le nuage ?), comme un grand film de suspense. Alors, camarade shanghaien, on revoit un peu son jugement sur Kiarostami, ou on continue à faire la fine bouche ?   (Gols - 06/10/07)

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