Gosford Park de Robert Altman - 2001
Une nouvelle fois, on a affaire à de la très grande classe de la part de Bobby, un de ces films qui ne se la jouent pas avec de grands airs, mais dont on se rend bien compte qu'il a dû falloir une maîtrise impressionnante pour arriver à faire tenir ça debout. Comme dans la plupart des films "choraux" du gars, Gosford Park repose sur la profusion de personnages, leurs rapports, leurs liens. Ici, c'est une grande demeure anglaise qui est le lieu d'une réception huppée ; une vingtaine de personnages se croisent et se heurtent, du gratin (stars de cinéma, propriétaires, héritiers, nouveaux riches) au bas du panier (les majordomes, valets et cuisiniers). Altman fait sans rougir un quasi-remake de La Règle du Jeu, en faisant jouer la porosité entre les deux mondes, l'absence finalement de différences entre les petitesses du prolo et celles du milliardaire. On a même droit à un valet qui n'en est pas un, et ça fricotte pas mal entre les classes.
Comme chez Renoir, les actes et les paroles de chacun mettent en lumière la vanité de l'Humanité dans son entier. Comme chez Renoir, c'est un tourbillon (certes ici moins hystérique que dans La Règle du Jeu) de mots, un ballet de formes. Comme chez renoir, la partie de chasse, véritable boucherie filmée presque à l'identique, est le sommet de la pyramide, la scène qui va faire basculer l'ensemble de cette société dans le gouffre. C'est miraculeux de constater comment tout cela tient, chaque personnage étant fouillé, intéressant, chaque caractère ayant un lien avec les autres, chaque sous-intrigue prenant sa place. Aucun acteur n'est oublié en route, tous ont leur place sans jamais que ça vire au numéro. La virtuosité d'Altman en ce qui concerne la géographie de son lieu (sublimes décors à l'ancienne qui rappellent, par leur côté sombre, The Dead de Huston) est bluffante, d'autant qu'il organise à l'intérieur d'icelui des mouvements d'acteurs, et donc de caméra, qui ne nous perdent jamais. C'est de la très grande classe, une élégance discrète et un humour jovial qui prennent des airs de facilité.
Dommage qu'Altman ne se contente pas de son portrait d'une société, et qu'il ait des envies d'intrigues policières. Le meurtre central est inutile pour développer les relations de ses personnages, et la résolution de l'énigme est peu passionnante. Tant pis : oublions le côté Mystère de la Chambre Jaune de la chose, gardons son côté brillantissime pour ce qui est de l'attaque sociale. Gosford Park est grand.