Plein Soleil (1960) de René Clément
Si la photo (noir et blanc) des Félins est sublime, celle (couleur) de Plein Soleil est éblouissante. De quoi faire un petit hommage au passage à Henri Decaë et à cette grande école française aussi riche en directeurs de photo de talent. La musique est signée Nino Rota ce qui ne gâche rien et les regards bleu laser de Delon et vert laser de Laforêt font le reste.
Les aventures de Tom Ripley... tout est déjà dit dans le nom, puisque Ripley (Delon, d'une beauté divine, avouons-le) ne va jamais chercher qu'à rejouer la vie de son ami, prenant sa place comme son ombre. Dans l'une des première séquence du film, Philippe (Maurice Ronet, beau gosse oui) surprend donc Tom en train de l'imiter devant la glace, répétant les mots que Philippe a dit à sa promise, Marge, Tom allant jusqu'à embrasser son propre reflet... Histoire de double et d'ego démesuré, tout est déjà en place. Lorsque Tom pense être enfin parvenu à ses fins, il demande à Marge, qui se trouve être dans la même position que lorsqu'il l'a découverte la première fois dans l'appart, de prendre une guitare et lui dit "Joue, joue" - re-play, do it again Marge...
Puisqu'il est constamment question de jouer, Clément parsème son film de petits clins d'œil, de paroles ou de scènes prémonitoires: Tom assomme sa deuxième victime avec la statue d'un bouddha vert (bien la première fois qu'un bouddha est l'arme du crime) et, alors que le cadavre est vautré dans l'entrée, Tom regarde par la fenêtre dans la rue où les enfants "jouent" à "1,2,3... soleil" - de l'assassinat considéré comme un jeu, avec en bonus un petit jeu de mot sur le titre du film, juste pour le plaisir; Philippe est moins bête qu'il n'y paraît et lorsqu'il découvre ses propres reçus bancaires dans les affaires de Tom, tout en admirant la colère rentrée de ce dernier à qui il vient de jouer un bien mauvais tour (il l'a laissé à la traîne dans le canot de sauvetage... en plein soleil), il lui demande précisément: "Vous n'avez jamais songé à me tuer?" - comme le Phil vient de tirer le 9 de pique en jouant aux cartes, on se dit que sa fin approche et qu'il ne devrait pas tenté de la précipiter...; situation cocasse encore lorsque Marge lit une lettre soit disant écrite par Philippe. Tom, qui vient de tuer ce dernier, s'est servi de sa machine à écrire pour imiter le style de son ami. Marge a ces mots: "c'est plat, insipide. C'est pire que s'il était mort" - elle ne pense pas si bien dire et l'on perçoit dans le regard de Tom tout l'effroi que provoque en lui une telle parole divinatoire. On pourrait enfin également évoquer le flic qui a une discussion assez enjouée avec Tom sur la disparition de Philippe; la porte de l'armoire de Tom où sont cachés tous les costumes de Philippe s'ouvre comme par magie et alors qu'un simple coup d'oeil du flic sur ces vêtements suffirait pour résoudre l'affaire, ce dernier parle de "son flair" qui lui fait rarement défaut... un humour caustique à la Hitch, autre bouddha...
Il y a plein de petits rayons magiques dans Plein Soleil, d'une apparition de Romy Schneider dans la première séquence, aux couleurs lumineuses des tableaux de Fra Angelico, en passant par la mer qui n'a jamais été aussi bleue, par les endroits de Rome et d'Italie qui donnent des fourmis dans les jambes (et oui Shanghai est bien laide...), ou par les multiples gros plans sur les regards incandescents de Delon et Laforêt qui ne sont pas sans rappeler ceux qu'il y aura plus tard dans Les Félins, autre polar de maître réalisé par Clément. Je ne cache pas d'ailleurs un gros faible pour ces deux œuvres qui concentrent en elles tout mon amour du cinéma (j'étais plus lyrique mais j'en garde sous le pied).