Tabou (Gohatto) de Nagisa Oshima - 1999
Vu le contexte de son scénario (une histoire trouble d'homosexualité au sein d'une milice dans l'ancien Kyoto), ce film est assez étonnant de par sa grande modernité. Oshima ne tombe jamais, ou presque, dans le piège de la jolie reconstitution à la Zang Yimou, et livre une oeuvre très contemporaine, aussi bien dans son esthétique que dans sa construction. Ses décors de studio, sa lumière artificielle de toute splendeur, le jeu hyper-distancé des acteurs (avec notamment un Kitano qui ne fait absolument rien, et c'est le meilleur acteur pour ça), sa musique épurée constituée en gros de 3 notes de piano qui se répète comme des coups de gongs chez d'autres, tout ça participe à une étrangeté et à une esthétique qui prouvent bien qu'Oshima n'a pas raté le train du cinéma contemporain, et qu'il a bien dû voir quelques films récents. C'est tout à son honneur, n'ayant plus grand-chose à prouver : il aurait pu se reposer tranquillement sur ses lauriers de grand cinéaste, sans prendre le risque de ce Tabou sensible et personnel.
Le titre est d'ailleurs assez mal trouvé. On cherchera en vain le souffre habituel du gars, et même si son sujet est délicat, il l'aborde frontalement et sans crânerie : l'homosexualité y est traitée comme allant de soi, et si on cherche à éliminer les homos du film, c'est plus par souci de cohésion ou de jalousie que par réelle répulsion. Pas dengagement là-dedans, en tout cas au niveau de la trame, et pas d'images choc non plus. Oshima raconte pourtant son histoire avec une rapidité étonnante, scènes très courtes, ellipses amenées par des cartons de textes lapidaires, 3 lignes de dialogue et on passe à autre chose. C'est sûrement ça qui fonctionne le mieux : cette rapidité d'exécution, le gars ne s'embarrassant pas de longues explications psychologiques pour justifier les actes. On dirait pratiquement du Brecht, si je puis dire : même vitesse, même tranquillité dans l'exécution, même tenue. Du coup, son film est assez passionnant, alors que l'histoire, finalement, ne l'est guère. Et puis il y a cette esthétique générale, traditionnelle en même temps que pompée sur le cinéma américain, faisant penser autant aux anciens contes japonais qu'à Singing In the Rain, qui donne un cachet magnifique au film, surtout dans les dernières scènes, sublimes : un bleu qui irradie l'écran uniquement percé parfois de blanc (les cerisiers) ou de rouge (le sang). Jamais pourtant on ne tombe dans le bôôôô cinéma de papa, l'artificialité étant justifiée par la théâtralité de l'ensemble. Oshima a livré son film le plus ancré dans la tradition en même temps que le plus moderne.