Twin Peaks - Fire Walk with me (1992) de David Lynch
Il n'y avait pas encore de Lynch dans ce blog, ce qui, pour le plus grand réalisateur américain, semble un comble, tout de même. A la re-vision, 14 ans après, de Twin Peaks, on ne peut que se replonger dans ses émotions de l'époque, époque donc où les errances cacochymes du gars Lynch pouvaient passer à côté du jeune homme plein de sève que j'étais. Je me souviens avoir été plus qu'intrigué par cet OVNI filmique à l'époque, et avoir gardé un certain malaise incompréhensif à la sortie.
Aujourd'hui, je n'aurai qu'un mot : j'adore. Twin Peaks est une sorte de premier essai de ce qu'est Lynch aujourd'hui : un grand créateur de poésie filmique, l'un des rares à avoir compris qu'un film ne doit pas être une histoire, et que le cinéma est un art unique en soi. Dans cet "essai", comme dans les 2 autres grands films barrés qui suivront (Lost Highway et Mulholland Drive), le fou tente de trouver des systèmes de correspondances entre les plans, et de créer l'homogénéité esthétique dans un chaos total. Le scénario est digne d'un grand malade, avec des pans d'histoire très "logiques" qui basculent soudain dans l'onirisme ou l'abstraction pure (un nain qui parle à l'envers, David Bowie en fantôme, un cheval blanc dans un salon bourgeois, un gamin masqué qui danse la gigue...). Je défie quiconque de me dire qui a bien pu vouloir tuer Laura Palmer, puisque tel est soi-disant le sujet du film. Et j'adore que l'on me perde ainsi dans les méandres d'un scénario improbable pour mieux me rattraper par la forme pure.
Le style de Lynch se reconnaît en 3 secondes, et pourtant impossible de mettre des mots sur ce qui fait le "style Lynch". Cette étrangeté du quotidien, entre film d'horreur et humour noir, entre surréalisme et hyper-réalisme, américanissime autant qu'européen (de l'Est, surtout, Polanski est passé par là) font des films du gars des pans d'art contemporain, inclassables et uniques. Il y a du Kubrick sûrement là-dedans (dans le cadre très en à-plat, et les couleurs), il y a du Edward Hopper (dans la crudité des mises au point), il y a du Kerouac autant que du Dickens ou du Kafka... Il y a surtout du Lynch, que voulez-vous. Twin Peaks n'est pas encore à la hauteur de Lost Highway (notamment par la musique très dépassée de Badalamenti), mais tel quel, il a déjà toutes les apparences d'un immense film de psychopathe. (Gols - 08/09/06)
Ah, je crois être en dissonance avec mon Bibice car, contrairement à la série, je trouve que le film est définitivement très mou du genou. De plus, il y a toujours un scénario chez Lynch (l'assassin (Bob inside Leland) de Laura Palmer est quand même un des points centraux du film), plus ou moins alambiqué certes, pas forcément d'une logique descartienne, mais qui est bel et bien là: il participe à la richesse du sens et des interprétations (Mulholland Drive sur lequel je pourrais passer la nuit) et laisse sur le cul quand le fil reste trop ténu pour ma petite intelligence (Inland Empire, que?). Dire de ses films qu'ils ne sont que pures oeuvres d'art formelles (ça permet en plus de rester extatique sans avoir à se justifier), c'est réduire de moitié la portée de ses films. (C'est un peu comme imaginer Elephant Man sans difformité... Ben si) Bon ça c'est dit.
Oui quelle déception après avoir revu l'intégrale de la série que ce petit film qui n'apporte pas grand chose à la légende Twin Peaks... Si tous les événements ont déjà été évoqués dans la série, en dehors de l'épisode de 30 minutes en prélude sur l'assassinat de Teresa Banks dont on se contrefout (Kiefer Sutherland est aussi crédible dans ce rôle qu'il est violent dans 24), la plupart des lieux et des personnages mythiques (le commissariat et l'hôtel) est totalement escamotée - certes c'était avant l'assassinat mais faut croire que cela a proprement réveillé la ville... Plus d'Audrey, une Donna remplacée (Moira Kelly est insipide), Shelly et Leo ont une scène de 30 secondes qui n'a rien à voir avec la choucroute, la femme à la bûche et le manchot sont placés in extremis pour le fun... Bref, comme dirait mon comparse, on a simplement l'impression que Lynch a suivi le cahier des charges pour Bouygues, à l'image de ce morceau de bravoure dans la boîte, très "sex, drug and rock'n'roll" -bel étalage de seins certes- mais pas vraiment passionnante (j'ai un peu fini le nez dans les chaussettes, ébloui par cette lumière rouge gavante et fatigué par cette musique saoûlante...). L'humour, le décalage omniprésents dans la série et participant grandement à son charme restent quasiment nuls (tous les traits semblent forcés à l'image de cette danseuse en rouge au début du film d'un ridicule sans nom), tout le monde prend son rôle très au sérieux, à l'image du Dale Cooper dans la scène finale tout content de jouer au chien de garde auprès de la Laura. Oui il y a un cheval blanc dans une chambre bourgeoise et qu'on aille pas me dire qu'il s'agit d'un clin d'oeil à la Pologne de Wajda!: c'est gratuit, juste surprenant et déroutant pour la forme, mais relié à aucun autre élément du scénario (ou j'ai loupé quelque chose...) alors que dans la série, il y a avait un jeu sur les CORRESPONDANCES, sur les REPETITIONS, sur l'idée du DOUBLE, qui lui donnait toute sa profondeur, sa résonance et son intérêt. Eh oui.
Pas vraiment emballé par le film à sa sortie - je n'étais pas tombé dans la marmite de la série à l'époque -, et après la vision passionnée de celle-ci, je dois tristement avouer que le film n'apporte absolument rien - juste une ressucée (ben oui c'est féminin, j'ai vérifié dans le dico, bizarre hein?) de certaines idées déjà longuement développées lors des deux saisons. Pas le feu... (Shang - 03/09/07)