Alice's Restaurant d'Arthur Penn - 1969
Encore un metteur en scène valable qui manquait jusqu'à présent dans ce blog, me remerciez pas. Bon il faut reconnaître que Alice's Restaurant n'est pas forcément le chef d'oeuvre de Penn, même si encore aujourd'hui il se regarde très gentiment. Un peu attendu dans sa trame et dans ses personnages, il reste un joli témoignage d'une époque bénie, celle des hippies aux cheveux longs conduisant des mini-bus à fleurs en fredonnant du Joni Mitchell et en arborant un sourire béat. Penn arrive bien à retranscrire cette époque, cet état d'esprit, aussi bien dans ses côtés positifs (l'utopie de la communauté pacifiste, la douceur, l'amour, la camaraderie, la musique) que dans ses côtés négatifs (drogue, alcool, auto-destruction des idées elles-mêmes qui se heurtent au monde contemporain).
La réalisation laisse franchement à désirer, sûrement à cause de l'embarras évident de Penn face à ses acteurs, très mauvais : Arlo Guthrie est malheureusement plus chanteur qu'acteur, et le réalisateur est obligé de couper beaucoup trop tôt ses plans pour éviter de trop exposer ses béances d'expression, ou de monter des plans de lui trop serrés dès qu'il arrive à capter une mimique (Guthrie en a deux : il fronce le sourcil ou il sourit bêtement). Du coup, le film est étrangement morcelé, trop rapide dans son montage, hyper-maladroit la plupart du temps (une scène de course de motos, par exemple, affreusement mal rendue). Ceci dit, il y a parfois quelques plans très beaux, comme le dernier du film, long face-à-face lointain entre Alice, désemparée face à la perte de ses repères, et la caméra qui l'observe discrètement à travers des arbres. Là, Penn prend le temps d'évoquer plus que d'expliquer, magnifique.
C'est plutôt dans quelques idées de scénario assez fine que Alice's Restaurant finit par convaincre. Comme cette séquence de Thanksgiving, dans une église désacralisée, où le film opère un subtil glissement entre la mystique religieuse et la mystique païenne, et trouve peut-être la signification profonde du mouvement hippie : une religion parallèle, débarassée de ses icônes (si ce ne sont celles de la jeunesse, de la vie et de la musique). Autre belle idée : Woody Guthrie, le père mythique, est en train de mourir à l'hôpital, symbole d'une époque qui se termine (on reconnaît le cinéaste de Missouri Breaks) ; face à lui, Arlo se rend compte que ses idées libertaires font pâle figure devant une société qui ingurgite petit à petit les codes de son mouvement, qui accepte la présence des baba-cools, qui ne les engage pas pour partir au Viet-Nâm. La plus belle phrase du film surgit alors : "Maintenant qu'on ne m'oblige plus à faire ce que je ne veux pas faire, je me demande ce que je vais faire". Pas mal, non ? En 1969, Penn comprend déjà que le mouvement hippie touche à sa fin, justement parce que le monde l'accepte. Futé. Dès lors, le film prend un virage radical, et se termine dans le drame, genre qui convainc plus ici que la comédie.