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25 mai 2007

Jules et Jim (1962) de François Truffaut

Il est bon parfois de se faire des petits plaisirs -même dans le cadre du taff - et puisqu'on est entre nous, pour mon anniversaire (ben oui - un peu trop arrosé hier, j'ose l'admettre, d'où une certaine flemme ce soir), j'ai pris un plaisir gourmand à programmer Jules et Jim au ciné-club de l'Alliance Française de Shanghai... J'ai déjà écrit 100 pages sur le bouquin (ah le bon temps des études...) je vais point vous assommer sur le film. Ce qui est bien quand on revoit un film pour la millième fois ce sont tous les petits passages que la mémoire avait complétement zappés ou les petits détails qu'on remarque (une affiche du Chien Andalou sur un mur au second plan par exemple). L'article qui suit -que j'avais écrit pour présenter le film -  est un peu sage mais à quoi bon hurler que j'adore ce film!!!!!!!!! Marrant en tout cas de voir le public chinois réagir, surtout les femmes, qui ont définitivement du mal à comprendre le caractère de Kathe et son sens du papillonnage... Le choc des cultures, forcément.

Après les 400 coups (1959), qui entame le cycle autobiographique d’Antoine Doinel, Tirez sur le Pianiste (1960), adapté d’un roman de la série noire de David Goodis, Truffaut se lance dans l’adaptation du roman autobiographique d’Henri-Pierre Roché, Jules et Jim. Un roman sur lequel il tombe au hasard chez un bouquiniste des quais de Seine et qu’il décrit comme « un des plus beaux romans modernes qui existent et un des plus méconnus ». Œuvre-phare de la nouvelle vague, aussi bien dans la liberté du style (de multiples séquences en extérieur, comme la fameuse scène en bicyclette) que du ton (il traite frontalement de la libération des mœurs et donne au « ménage à trois » ses lettres de noblesse dans une France encore très conservatrice ; il laisse aussi à ses comédiens une grande part d’improvisation bien que le film soit très écrit), Jules et Jim a gardé toute sa fraîcheur près d’un demi-siècle plus tard aux côtés des A Bout de Souffle (1960) de Jean-Luc Godard, Paris nous appartient (1960) de Jacques Rivette, Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda ou encore Les Cousins de Claude Chabrol (1959).

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Il nous faut tout d’abord évoquer la genèse de cette œuvre cinématographique qui célèbre avant tout la rencontre entre un grand metteur et un écrivain français injustement oublié du grand public, Henri-Pierre Roché. Premier roman écrit à l’âge de… 74 ans, Roché condense près de 20 ans de sa vie (de 1907 à 1929) en quelques 250 pages. Véritable dandy (grand amateur et acheteur de peintures, intime de Picasso, Braque et Marie Laurencin), il a multiplié les conquêtes féminines et a su faire de sa vie une véritable œuvre d’art. Ce livre résulte d’un travail d’épure exceptionnelle puisque toute sa vie Roché a tenu un journal intime au jour le jour : le style de ce roman peut être considéré comme un véritable diamant littéraire où chaque phrase tend à la simplicité tout en portant un univers entier. Truffaut a rencontré Roché à de multiples reprises pour préparer son film. Malheureusement, ce dernier s’est éteint deux ans avant le tournage… Toutefois, quelle ne fut pas la surprise de Truffaut de recevoir à la sortie de son film une lettre d’Helen Hessel, la vraie Kathe du film – grande figure du féminisme dans le Paris des années 20 -, le complimentant pour avoir su parfaitement retranscrire « leur » histoire. Si Jim est le double de Roché, Jules est quant à lui un écrivain allemand redécouvert récemment, Franz Hessel. A l'inverse de Roché, Franz est beaucoup plus contemplatif et passif dans ses rapports avec les femmes, et il a écrit de magnifiques romans sur le Paris du début du XXème siècle. Cette grande amitié franco-allemande, qui commença avant la première guerre mondiale, s'achèvera en 1942 avec le décès de Franz Hessel au camp des Milles.

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Si ce récit demeure généralement dans l’esprit des gens comme une grande aventure fraternelle, l’un des thèmes essentiel n’en demeure pas moins l’amour-passion entre le personnage de Jim et de Kathe. Si dans la vie, cet amour s’acheva par une dispute entre Roché et Helen Hessel, l’écrivain transfigure cet aspect – seule la dernière partie du livre n’est pas autobiographique - en faisant mourir ensemble ces deux personnages à la fin du récit. Il convoque ainsi les éternelles figures d’Eros et de Thanatos, le thème classique de l’influence de l’amour cathare (relire à ce propos le magnifique ouvrage de Rémy de Gourmont, L’amour et l’occident la passion rimant souvent avec autodestruction (ils meurent d’ailleurs en voiture…).

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Au niveau du style du film, Truffaut est parvenu à conserver parfaitement le ton du livre de Roché, par l’utilisation d’une voix-off qui vient parfaitement adhérer aux images (la séquence d’introduction est un modèle du genre, Truffaut parvenant en deux minutes à évoquer toute la complicité qui s’est nouée entre Jules et Jim). Au niveau de la construction narrative – et notamment en ce qui concerne le passage du temps - il use de procédés techniques (fermeture à l’iris, fondus, raccords dans le mouvement, arrêts sur image) qui lui permettent à la fois d’étirer les petits instants de bonheur et de comprimer de longues années lorsque les héros sont séparés (par l’excellente utilisation d’images d’archive notamment). Enfin, il parvient, pour l’œil averti du spectateur, à nous montrer les évolutions entre chaque époque, sans avoir besoin de rechercher la stylisation à l’excès ou en alourdissant son récit avec des rappels constants sur les dates, mais en laissant en arrière-plan de nombreuses séquences des tableaux de Picasso caractéristiques de différentes périodes du maître.

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Analyse de l’amour et de l’amitié, Jules et Jim est un film d’une grande légèreté mais aussi d’une grande fragilité, tout comme le bonheur - tourbillon implacable comme la célèbre chanson du film interprété par la divine Jeanne Moreau. Il capte ainsi toute la beauté et le charme du livre de Roché, qui écrivait « le bonheur se raconte mal. Il s’use aussi sans qu’on en perçoive l’usure ».


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addendum de Shang concernant la copie Criterion de Jules et Jim : Bon j'ai passé 6 ans à lire tout ce qui concernait Henri-Pierre Roché, deux ans pour écrire un mémoire sur Jules et Jim, je vais pas vous faire un dessin: j'aime plutôt pas mal (Oui mon ami Gols va me dire que Roché est mineur, la preuve il est pas au Lagarde et Michard... on peut plus plaisanter?).

Dans cette sublime édition, sans même encore parler de la nouvelle copie sublime du film et des commentaires que je n'ai pas encore pris le soin d'écouter en entier (les journées ne font que 24 h et je bosse aussi parfois), on a droit a des bonus de la mort.

- Des interviews des enfants de Jules (Franz Hessel, écrivain allemand trop méconnu) et de Catherine (Helen Hessel... on voit même sa tombe au cimetière Montparnasse sur laquelle je me suis recueilli... Ca m'arrive jamais mais là me demandez pas pourquoi...) et du fils de Roché, juste pour le plaisir d'avoir un autre angle et de voir quelques photos inédites.

- Des commentaires de deux ricains sur le film qui théorisent à mort mais qui disent po que des conneries. Je serais d'ailleurs suffisament de mauvaise foi pour m'en resservir en cours en faisant croire que c'est de moi (Un peu comme Bruno avec Studio et les Inrocks.... Roh âa va je charrie à mort). Cela dit les analyses techniques sont souvent de grande qualités - les arrêts sur images, la scène d'introduction, les surimpressions, la modernité du montage...

- Et pis pleins d'interviews de Truffaut: je reviendrai pas sur l'invité du dimanche dont j'ai déjà parlé mais il y a des extraits de Truffaut à la télévision américaine, dans un séminaire (!!!! énorme) toujours aux US, des entretiens avec Claude-Jean Philippe 20 ans après la sortie, des émissions télé... Je reviendrai pas non plus sur l'humilité ("Vous conseillez de lire le livre ou de voir le film d'abord? - Je conseille surtout de lire le livre, mon film n'étant jamais qu'une vulgarisation") l'humour pince sans rire (beaucoup plus sain à mon goût que le pontifiant Godard qui a du mal à ne pas prendre tout ce qu'il dit pour des vérités absolues) ou sur la passion qu'il met dans chacun ses films (on apprend qu'il a fait des arrêts sur image dans La peau Douce imperceptibles à l'oeil nu...)... Entre autres, quelques réflexions truffaldiennes qui n'ont pas pris une ride: il explique que les américains, élevés par la télé, ont l'habitude de voir, toutes les quatres minutes, les films interrompus par une page de pub. Du coup cela finit par se ressentir dans les films américains eux-mêmes: l'intrigue est coupée toutes les quatres minutes, par un spectacle de danse, des effets spéciaux (...) comme s'ils n'étaient plus capables de raconter une histoire pendant deux heures... Je repense à Mission Impossible III qui est coupé toutes les 4 secondes...

Ou encore, revenant sur la construction circulaire de Jules et Jim, il explique comment instinctivement il a ressenti le besoin de constamment naviguer d'un personnage à l'autre. Si jamais il avait séparé dans chaque plan les personnages, on aurait pu avoir l'impression d'une histoire banale d'adultère. Comme l'histoire d'origine est à cent lieues de ce principe, il mêle constamment dans ces plans (caméra qui tourne à 360 degrés, panoramique astucieux) les 3 héros du film. Il le dit mieux que moi, mais quand on revoit des extraits du film on se rend compte que c'est très très malin. Il compare cela à un film sur l'Inde: il est impossible de filmer l'Inde comme un thriller américain; puisque les animaux, les gens sont constamment mêlés, seuls de longs plans balayant l'ensemble pourraient rendre compte de cette réalité. Sacré François hein?!

Il y aussi beaucoup de petites choses que je ne savais pas, comme le fait qu'il ait fait le film pour sa mère, consciemment ou inconsciemment, ayant eu l'impression de l'avoir un peu trop égratignée dans Les 400 coups. Il parle de la laideur de 90% des films en couleur. Ou encore de son aventure avec le comité de censure américain (The legion of decency...) qui lui reprochait dans le personnage de Catherine le fait de mener la même vie... qu'Elizabeth Taylor. Leur répondant qu'il ne savait rien de la vie de la Taylor, ils lui demandèrent s'il ne lisait pas les journaux. "Pas les mêmes sûrement" dit-il. Cela ne l'aida pas vraiment pour que le film puisse passer à la télé. Honnête, franc et droit... François, reviens-nous, ils sont devenus fous!

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