Ascenseur pour l'échafaud (1958) de Louis Malle
Que du beau monde pour ce classique du noir français, Decae à la photo, l'incontournable musique de Miles Davis, l'adaptation signée Roger Nimier, Ventura et Denner en éternels commissaires et la blonde Jeanne qui arpente la nuit les trottoirs mouillés parisiens comme elle seule sait le faire: pleine d'une mélancolie et d'un vague à l'âme qu'on soupçonne immenses...
Un crime presque trop parfait qui vire à la débandade pour une corde bêtement oubliée et un ascenseur plus turpide (ouais, je sais pas, c'est histoire de varier un peu les adjectifs) que celui du Père Noël est une ordure (il y aurait d'ailleurs un cycle ascenseur à faire...). Une très belle machinerie que déroule Louis Malle de façon peut-être un peu trop classique, éternel reproche fait à ce gentil garçon de la nouvelle vague (Brialy, lui, reste tout terrain, dans deux petites apparitions fugaces au passage). Une bien belle séquence tout de même dans ce commissariat plongé dans le noir, lors de l'interrogatoire de Maurice Ronet, avec Ventura et Denner en vautours. Un plan également relativement frissonnant lorsque Maurice ayant ouvert la trappe de l'ascenseur lâche son paquet de cigarettes enflammé pour jauger de la profondeur de la cage : suspendu à un fil alors que l'ascenseur se remet en route on est à deux doigts de crier "Appuyez sur le bouton !!!!". Un noir finalement à l'honneur puisque les multiples crimes se résolvent comme par hasard dans une chambre noire qui "révèle" tous les secrets de la nuit passée. Dommage, au passage, que le jeune couple d'amants soit joué de façon fort moyenne, la scène ultra-dramatique lorsqu'ils décident de se suicider pour rester "ensemble au delà de la mort" étant aussi peu crédible qu'une Jeanne Moreau devant passer sa vie en prison. C'est carré quoi, chaque pièce du film est bien pré-découpée à l'avance, un bon polar qui, sans être jamais au niveau d'un Melville, mérite toujours autant le détour. (Shang - 13/04/07)
Beaucoup aimé revoir ce film, venu d'un cinéaste que je n'adore pas. A la manière d'un Hitchcock joueur des grands jours, Malle s'empare d'un scénario absolument improbable et en fait un brillant suspense, exercice de style autant que jeu avec les codes du genre. Pas de bol effectivement, notre Julien Tavernier : il arrive bien à tuer son patron, mais le voilà coincé dans un ascenseur ; et pendant ce temps, un couple vole sa voiture et va flinguer des touristes allemands à l'autre bout de la ville. On y croit comme on croit au retour de la gauche, et autant aussi qu'à la psychologie des personnages. Le patron tellement sûr de lui qu'il ricane devant le flingue, un Allemand hilare quand on lui vole sa voiture, un couple qui décide de se suicider comme de rien, ... Quant à la résolution de l'affaire, elle laisse franchement songeur. Rien de rien n'est crédible à-dedans. Même dans la mise en scène, il y a de quoi tiquer plusieurs fois, notamment dans cette utilisation de la voix off pour exprimer le monologue intérieur de Jeanne Moreau opposée à la voix parlée (et très artificielle) de Maurice Ronet, procédé bancal ; ou même l'usage de la musique de Miles Davis, curieusement montée : parfois c'est juste une note montée sur un tout petit bout de dialogue ; on sent bien que le bougre s'est foutu comme de l'an quarante du timing du film, et qu'il a créé cette (prodigieuse) musique tout seul dans son coin.
Et pourtant... on prend un plaisir total à la chose. Comme Cary Grant poursuivi par un improbable avion, ce n'est pas la trame qui importe, mais le le spectacle, le fun. Et le spectacle est total dans cette machination du destin qui va envoyer tout le monde en prison. Ce qui pourrait rebuter se transforme en or sous le savoir-faire et la coolitude de Louis Malle. D'accord avec mon compère : le petit couple est mal servi par deux acteurs qui jouent vraiment à l'ancienne. Mais à part ça, on ne cesse d'applaudir devant les trouvailles, les petits détails croquignolets, la puissance de certaines idées. Beaucoup aimé, notamment, le cœur du film, c'est-à-dire les tentatives de Ronet pour sortir de son fatal ascenseur. Sans paroles, juste avec un ensemble de cadres vraiment sublimes et un sens de la situation imparable (le gardien qui laisse tomber ses clés alors que l'ascenseur menace de broyer notre héros, brrrr), la mise en scène invente un suspense diabolique, rehaussé en plus par le jeu atone et sobre de l'acteur. Ces scènes sont contre-balancées par la fameuse errance de Jeanne dans les rues de Paris. Je ne suis pas du tout fan de cette actrice, que je trouve minaudante la plupart du temps (et là aussi, elle n'est pas parfaite de ce côté-là). Mais Malle, amoureux, la magnifie et l'habille de lumière et de musique. Ses regards caméra qui ouvrent le film sont immédiatement mythiques. Le film a un style très étrange, entre comédie policière et tragédie amoureuse, entre Nouvelle Vague (le filmage en extérieur, l'amour pour les rues, certains acteurs), polar à l'ancienne (Lino Ventura, le couple amoureux qui fait des conneries, le noir et blanc très bourgeois), et expérimentations à la Bresson (la partie silencieuse, les audaces des gros plans, le jeu distancé de Moreau et Ronet, le soin apporté à cadrer les gestes et à faire un film "d'action"). En tout cas, on est happé et émerveillé par ce film noir palpitant et rigolo, un peu comme un épisode de Hitchcock présente dopé par une mise en scène géniale. Ça a du bon de revoir un peu du patrimoine français, des fois. (Gols - 13/07/22)