Allemagne Année Zéro (Germania anno zero) (1948) de Roberto Rossellini
Pas facile d'être un gamin à Berlin en 1947, surtout quand on a un père malade, un frère ancien soldat, qui a peur de se faire recenser auprès des autorités et se cache jour et nuit, et une soeur qui refuse de se prostituer (oui, bon, je sais). Il se retrouve à creuser des tombes (geste ô combien prémonitoire), vendre des disques de Hitler ou des balances (on peut tenter un parallèle?), ou encore à voler des pommes de terre, ballotté constamment dans une ville en ruine, entre des adultes qui profitent de lui, des ados plus forts que lui et une famille qui compte sur l'impossible - et sur lui en grande partie -pour survivre. Prenant au mot son ancien prof déçu par le nouveau régime (qui, comme ses amis, ont des mains biens baladeuses) qui lui assène que seuls les plus forts survivent, se méprenant plus ou moins sur les paroles de son père qui lui dit être un fardeau et ne pas avoir le courage de mettre fin à ses jours, il empoisonne ce dernier. Réalisant l'horreur de son acte, il finit par se jeter d'un immeuble (affreux, ça fait même pas chpock).
Si la caméra de Rossellini se retrouve constamment à l'affût des moindres gestes de ses personnages (grande dynamique du rythme et du montage, au passage), c'est pour mieux nous faire ressentir toute l'urgence de ces vies: tout le monde tente de vivre de petits expédients, et si certains refusent de tomber dans le marché noir, ce n'est point pour autant que quoi que ce soit leur vienne en aide. Le gamin apparaît complètement perdu et livré à lui-même dans ce monde d'après-guerre où plus aucun repère existe. On sent bien d'ailleurs à quel point ce film a dû avoir une forte influence sur Truffaut dont les errances du Doisnel des Quatre Cent Coups dans le Paris des années 50 n'est au final pas si loin. Rossellini, dans un petit texte liminaire au film, décrit sa volonté de ne pas chercher à plaindre qui que ce soit, mais plutôt simplement à illustrer une réalité dramatique. Loin d'un sentimentalisme à la De Sica, on se retrouve devant une réalité brute, qui fait souvent froid dans le dos. Allemagne Année zéro a su garder plus que jamais toute sa force: c'est la marque d'un grand cinéaste.