Je me demande si Bouddha n'aurait pas eu deux trois soucis avec môman Hichcock dans sa jeunesse : son image de la mère dans plusieurs de ses films fait froid dans le dos. Elle est souvent possessive (Psycho), sans joie (Notorious), voire, comme ici, psychologiquement et physiquement brisée. Encore une fois, donc, Hitch dresse avec Marnie un portrait glacé des rapports psychologiques avec le lien familial et l'enfance. Le film est très sombre, parfois contemplatif, et franchement sans échappatoire.
Ce qui empêche Marnie de rentrer dans la catégorie des grands Hitchcock, c'est un ton un peu effacé, pastel, qui tranche avec les excès habituels du gars. Connery, par exemple, est mauvais, gros problème de casting, ce qui n'était pas arrivé chez Bouddha depuis bien longtemps. Terne, il n'arrive pas à faire croire à son personnage (d'ailleurs assez mal écrit : on ne comprend pas du tout ses motivations, son amour, ses actes). Il veut pourtant jouer les Cary Grant, on sent qu'il a potassé son Hitch avant d'accepter le rôle, mais il n'en est qu'une pâle copie, trop crâneur, trop flegmatique, au final assez antipathique. De même qu'on n'arrive pas vraiment à sympathiser avec l'héroïne, je ne sais pas pourquoi, peut-être trop complexe, trop opaque. La photo, quant à elle, est là aussi un peu fade par rapport aux grandes réussites visuelles que furent les Hitch des années 50-60. Trop travaillée en fin de compte, elle est souvent affadie par un "clinquant" un peu gênant. La musique, enfin, semble également en manque d'inspiration. C'est pourtant encore une fois une très grande partition de Herrmann, mais elle ne fonctionne pas toujours sur les images.
Marnie est toutefois un très grand film sous bien des aspects. Le portrait psychologique du personnage principal, incarné magnifiquement par une Tippi Hedren enfantine et glaciale, tient méchamment la route. Elle ne nous perd jamais, et Hitch fait reposer le suspense sur cette vérité intérieure inavouable. Si Spellbound avait du mal à convaincre, ce film-là est un très bon concentré des théories freudiennes, Hitch a enfin lu les bons livres. Les rapports entre elle et Connery sont très touchants : kleptomane, menteuse, mythomane, frigide, elle est surtout affligée d'une sainte horreur des hommes qui fait toute la beauté des scènes centrales sur le bateau. Connery, frustré, avide de sexe, et en même temps gentleman, ronge son frein avec désespoir, et on le comprend, le bougre. Hitch aborde enfin frontalement la frustration sexuelle, et il s'y connait le pauvre pépère (il aurait eu également deux trois soucis avec Mme Hitchcock que ça m'étonnerait pas).
Il y a aussi des grands moments de mise en scène, bien sûr : la métamorphose de Hedren au début, fluide et romantique ; le cambriolage, qui prouve une fois de plus que Hitch est un grand amoureux du silence ; des plongées vertigineuses sur des décors très classe ; une course à cheval mignonne comme tout, où Bouddha nous ressort ses systèmes de transparence toujours émouvants ; un plan accrobatique (qui rappelle Notorious), survolant un hall d'entrée, glissant doucement sur une porte qui s'ouvre et dévoile le personnage qu'on ne voulait pas voir ; de simples dialogues filmés dans une voiture, où chaque geste et chaque expression sont mis en valeur par la place même de la caméra ; le flash-back final, efficace et destructuré... Le rythme est lui aussi bien dosé, c'est un des films les plus lents de Hitch, mais il passe comme un rêve.
Bref, un très bon Hitchcock, si Sean n'était pas passé par là. (Gols 10/08/06)
Que rajouter à la chronique de Gols, si ce n'est que l'ami Sean, rip, n'est à mes yeux pas si mauvais que cela : son personnage, celui d'un protecteur, d'un type plein d'empathie se fixe un seul but : il est certes animé par le désir sexuel mais il cherche véritablement à jouer les types salvateurs auprès d'une Marnie dont il a deviné dès le départ les traumatismes sous-jacents. Le film, en effet, avance doucettement dans des teintes un peu ternes et ce malgré de très jolis décors en extérieur. Le film est placé sous l'égide dominante du gars Freud, la pauvre Marnie se retrouvant obsédée par un épisode violent de sa jeunesse : peur du rouge, crainte des hommes, bruits de tonnerre… qui agissent à chaque fois sur notre pauvre blonde comme des madeleines en décomposition ; sa kleptomanie maladive, sa froideur, sa volonté de se déguiser, de mentir tout cela s'avère être la simple conséquence d'un épisode traumatique qui ne nous apparaîtra qu'en toute fin. Connery s'amuse à jouer les psys, à la fois frustré par cette femme qui le repousse mais sûr de son fait quant à l'emprise qu'il a sur elle (en la menaçant de la livrer à la police) et quant à la possibilité d'une rémission. Pari osé mais Connery, businessman averti, n'est pas tombé de la dernière pluie.
Hitch trousse ici une scène particulièrement réussie alliant à la fois le suspense et le petit côté gaguesque de bon ton : lorsque Marnie est interrompue en plein vol par l'arrivée d'une femme de ménage, elle s'éclipse en silence, plaçant ses chaussures à talon dans sa poche... mais l'une d'elle est en équilibre, menace de tomber, tombe... et Marnie d'être miraculeusement sauvée par une particularité de la femme de ménage qu'Hitch se plaît à nous expliciter dans la foulée. C'est tendu et mignon comme tout. La musique d'Herrmann est en effet reconnaissable entre toute à tel point qu'on se demande si le type ne s'est pas copié lui-même ; d'où peut-être aussi cette impression qu'il a fait du Herrmann indépendamment de l'atmosphère du film qui, comme on le disait, n'est pas basé sur un suspense haletant mais sur un aspect psychologique que l'on illustre dans le temps, tranquillement.
Tippi, réchappée des oiseaux, est à la fois très classe et très distante et incarne une parfaite héroïne hitchcockienne, charmante et charmeuse "malgré elle" (bien que la bougresse, quand il s'agit d'arriver à ses fins (détourner de l'argent) soit pleinement consciente de son charme et en abuse : jusqu'à être capable d'embrasser des hommes sans montrer sans dégoût - belle ruse d'indienne). Avec son petit chignon de circonstance, ses cheveux comme noués, torturés à souhait, la belle parvient à vaincre plus ou moins ses peurs pour parvenir à ses fins ; jusqu'à ce que le mâle alpha Connery se donne comme mission de déchiffrer ses peurs... Autre personnage trouble de l'histoire, après la blonde, la brune Lil (Diane Baker et son charmant minois) capable d'embrasser à pleine bouche son brother et de jouer des tours de cochons à Tippi ; elle est l'autre personnage torturée de l'histoire (par la jalousie) qui fait tout son possible pour détourner son frère de cette blonde qu, d’après elle, l'aveugle. Calculatrice, curieuse à l'excès, elle s'immisce dans le couple pour tenter de le faire chavirer : une plastique parfaite qui cache de bien sombres desseins - quand on ajoute la mère névrosée de Tippi à ce duo, on se dit en effet que le gars Hitch avait une perception pour le moins suspicieuse des femmes… Pas un chef-d'oeuvre, non, mais un film très agréable où le suspense nous berce à petit trot. (Shang 05/11/20)
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La dernière fois que j'ai revu Marnie, c'était sur grand écran. Je tiens à le préciser, car nos belles éditions françaises du dvd ont effectué un recadrage honteux du film, passant du 1.88 au 1.33. Bref.
Déjà le film remontait dans mon estime petit à petit, mais en le revoyant au cinéma, ce fut une révélation. En ce qui concerne les couleurs que Gols trouvait "fades" dans sa critique, ne sont-elles pas la vision du monde par cette femme malade ? Il ne faut pas oublier que le symptôme de la névrose de Marnie est, outre d'être effrayée par les hommes, de détester la couleur rouge. Plutôt que de rater sa photographie, le Maître ("Buddha" comme vous l'appelez) ne serait-il pas en train d'effectuer un travail novateur sur les couleurs. Le film serait alors la vision froide, "métallique" de cet individu maladif. D'où la prédominance jaune (sac à main, clef...), grise, verte, bleu... des couleurs froides qui donnent au film ce ton âpre totalement justifié.
Pour ce qui est du choix de Sean Connery, il ne m'a pas déplu. Son côté bestial (pilosité TRES développé sur le torse, forme du visage avec grosse machoire) représente tout ce que Marnie haït chez l'homme. C'est un rôle que Cary Grant n'aurait pu tenir de toute façon : l'auriez-vous vu tenter de violer une femme, et même d'ailleurs la violer ? Gols dit que Connery rend son rôle très antipathique... n'est-ce pas voulu ? Marnie le déteste, ça non plus il ne faut pas l'oublier. Mark Rutland est un homme possessif, au ton marital, un macho comme qui dirait, ce qui convient parfaitement à l'air "je me la pète" de Sean Connery - et n'aurait pu fonctionner avec Cary Grant, la classe incarnée.
Mais c'est là l'ambiguïté de ce film, le mystère de Marnie : est-ce l'ultime réussite d'Hitchcock, une subtile et sombre réécriture de ses obsessions, ou bien le début du déclin, le début de la fin ? Peu importe, il n'y a surement pas de réponse, mais en tout cas le film peut être vu comme une oeuvre novatrice, unique, avec un Hitchcock qui pour la première fois n'essaye plus de faire du Beau, mais de mettre profondément mal à l'aise.
Enfin bref, ce message n'est qu'un pretexte... je voulais surtout dire que j'admire votre blog ; vos critiques sont un régal à chaque fois, qu'on soit d'accord ou pas d'accord. Bravissimo, continuez !