Boy Meets Girl de Leos Carax - 1984

Il y a dans Boy Meets Girl toute la matrice du chef d'oeuvre intersidéral que sera Mauvais Sang deux ans plus tard. C'est encore un petit bidule assez maladroit, qui n'évite pas tous les pièges du "jeune premier film français de qualité", mais c'est d'une telle sincérité, et puis c'est si personnel, qu'on pardonne aisément à Carax ces erreurs de jeunesse.

A mettre dans les défauts du film, donc, ce côté un peu fashion (un fashion des années 80, hein, donc absolument démodé), un peu arty, de se prétendre le fils de Godard en filmant un peu trop, de façon un peu trop voyante ; ce noir et blanc jarmushien, commun à tous les premiers films de cette époque, comme si filmer en couleurs était le comble de l'anti-cinéphilie ; un Denis Lavant encore un peu instable, malgré une photogénie et une présence physique déjà époustouflante ; une propension adolescente à mêler amour et mort, de façon trop romantique, presque "gothique"...

Mais à mettre du côté des qualités très nombreuses de cet essai poétique : une scène centrale qui déchire tout, long plan où un homme et une femme se parlent tout bas, se disent leur amour et leur mal de vivre, leur fureur d'aimer, dans un texte bouleversant (Carax est sûrement plus proche d'Eustache, en fin de compte, que de Godard) ; une Mireille Perrier totalement en apesanteur ; une foultitude d'idées de mise en scène sensibles, intelligentes, osées, audacieuses et la plupart du temps très réussies ; des personnages secondaires parfaitement écrits ; une bande-son comme d'habitude chez Carax moderne et pointue (Bowie / Barbara / Ferré...) ; surtout, une force poétique déjà très assurée, qui permet à Leos de trouver des minuscules détails de scénar et de réalisation qui ne peuvent venir que de lui. Déjà dans ce film, on reconnaît son Carax à 3 km, et déjà dans ce film, on se dit qu'on serait bien en peine de lui trouver un successeur ou d'imiter son style. Carax est grand.