L'Homme qui en savait trop (The Man who knew too much) d'Alfred Hitchcock - 1956
Forcément, on est dans la grande période des films de Bouddha, alors celui-là ne déroge pas à la règle : c'est un immense film, à deux doigts du chef d'oeuvre total, et c'est vraiment pour chercher la petite bête qu'on peut y trouver deux, trois défauts minimes.
La première partie, au Maroc, tient entièrement ou presque sur les épaules de James Stewart, grandissime comme toujours. Il est absolument parfait en touriste, dépassé par tout ce qu'il voit et totalement anachronique dans ce paysage. Hitchcock, comme Woody Allen d'ailleurs, a toujours eu une sorte de crainte face aux pays étrangers (y compris Shanghai dans Rich and Strange, c'est pas pour dire mais bon), et cette crainte passe dans le corps de Stewart : la scène au restaurant, où il ne sait pas comment s'asseoir, est parfaite (comme le sera, dans le même esprit, la scène chez le taxidermiste, où le géant qu'était Stewart est complètement écrasé par les animaux qui l'entourent). Hitch s'amuse comme un petit fou avec ça, avec peut-être un poil de racisme... passons... et s'amuse également à faire monter une inquiétude diffuse, vague, inattrappable. Il n'est jamais meilleur que quand il plonge un homme normal (ou un couple, comme ici) dans un imbroglio politico-meurtrier qui lui échappe. Les deux méchants sont d'ailleurs très réussis, ils vous glacent le sang, mazette. Et puis, la scène du marché, point d'orgue de ce premier tiers de film, est superbe, y compris dans les détails les plus "inutiles" (ça ne sert à rien que Daniel Gelin tombe dans la peinture bleue avant de se faire dézinguer, mais c'est tellement plus beau... Hitch, je t'aime).
La deuxième partie à Londres est bien sûr complètement tendue par la scène mythique de l'Albert Hall, aussi connue que la scène de l'avion dans North by Northwest ou que le meurtre de Psycho. Inutile de s'apesantir dessus, sa réputation est complètement justifiée : c'est un sommet du CCCCCCCinéma (les 7 majuscules sont voulues), 10 minutes de musique sans dialogue, un montage de fou furieux avec au moins une quinzaine de points de vue différents, une tension insupportable (qui résulte des 90 minutes précédentes et qui culmine ici), un humour jouissif, et puis la musique de Herrmann belle à se damner, et puis la profonde compréhension du rythme de la scène, et puis les larmes de Doris Day (un moment purement cornélien)... et puis, et puis...
Il y a aussi ce couple Stewart/Day qui fonctionne à mort, plein de tendresse et de douleur, d'attentions et de confiance, une complicité dans l'adversité que Bouddha réussit à merveille (ça n'a pas toujours été le cas). Ceci dit, je trouve Doris Day un chouille fadasse (c'est le défaut dont je parlais, vous suivez ?), pas photogénique pour un sou. Mais bon, à sa défense, elle a des scènes super dures à jouer (apprendre que son fils a été enlevé, sauver le Ministre de je sais plus quoi, chanter faux, ah ça nous fait des grosses journées). Il y a par-ci par-là un ou deux tunnels (les premières scènes à Londres, notamment), mais je vous ai dit, c'est vraiment pour chercher la petite bête. Le film est génial, je vous dis.
En fait, je suis en train de me demander si la grande époque de Hitch ne s'étendrait pas de The Pleasure Garden en 1925 à Family Plot en 1976. A vérifier... (Gols 31/03/06)
Alors oui, on est ici face à un classique parmi les classiques du gars Bouddha et le plaisir de revoir ces œuvres est encore plus grand vu qu'on a désormais que des versions magnifiquement restaurées - les couleurs, ici, sont tout simplement ébouriffantes. Sans vouloir as usual répéter ce qu'en dit mon compère conquis avant même la (re)vision de la filmo du sieur, je reviendrai ici sur deux points positifs et un négatif (et vous verrez, on se rejoint un peu, quand même…) : tout d'abord je dois reconnaître avoir un faible pour cette séquence totalement inutile dans la progression de l'intrigue mais absolument hitchcockissime, celle chez le taxidermiste ; on multiplie constamment les fausses pistes lors de ce rendez-vous qui s'annonçait crucial (le seul élément auquel peuvent se raccrocher les McKenna pour retrouver leur fils) et qui va tomber à plat : le vieux (c'est pas possible que ce soit lui l'affreux de l'histoire !) qui s'appelle pareil que son fils (tiens, tiens !) qui a une tronche anguleuse de méchant (c'est sûr, c'est lui qui est dans le coup) qui, croit-on, fait mine de ne rien comprendre au discours de Stewart (il feinte l’ignorance, l'enfoiré), qui appelle à la rescousse ses employés (c'est bien un guet-apens !!), qui agitent dans tous les sens et de façon menaçante les animaux empaillés (Stewart va-t-il se faire égorger par un poisson-scie ?), qui, etc, etc... Stewart parvient à s'échapper in extremis de cette situation tordue et se rend compte rapidement qu'il a fait totalement fausse route... Un épisode qui ne fait que retarder le dénouement mais absolument jouissif dans sa mise en scène (les félins toujours dans un angle de prise de vue pour ajouter un soupçon de danger) et son humour absurde. Stewart, il est vrai, est comme toujours absolument prodigieux, en comique (la petite scène de croisement de jambe et de repas "avec deux doigts" m'a surtout fait penser à Doisnel chez sa Japonaise), en colérique (il ne se laisse jamais enfumer par les flics français ou les invités de sa femme : il n'écoute à chaque fois que sa petite voix intérieure en faisant la sourde oreille envers tous ceux qui l'empêchent de mener sa barque), en homme d'action (il prend toujours au quart de tour des initiatives sans douter d'un quelconque danger ; il est notamment hallucinant en sonneur de cloche qui brave les hauteurs (Hitch et les scène en altitude... douze thèses n'y suffiraient pas - c'est vertigineux...)). Stewart, quelles que soient les situations est parfait, et se révèle une nouvelle fois absolument irremplaçable.
Ce qui n'est pas le cas, en effet, de Doris Day : elle a non seulement moins de charisme que Josiane Balasko (qui n'était pas libre) mais elle écope surtout d'un rôle de cruchasse hors-pair ; qu'elle se fasse constamment rabrouer par un Stewart "meneur", en particulier en privé, c'est une chose (elle n'est pas prête de reprendre sa carrière artistique, la bougresse, vu la moue que fait Stewart quand les amis de sa femme évoquent l'idée : tu seras femme de docteur au foyer, point - il pouvait avoir un petit côté réac, Hitch, non ?). Mais la pauvrette semble surtout aussi peu à l'aise qu'un poisson rouge pour prendre une quelconque initiative. Dès qu'elle est en face de cette chapelle, elle fait appel à son homme, aussi démunie semble-t-il qu'une poule avec un couteau pour agir. Elle gâcherait presque cette fameuse scène du concert en restant figée comme une huître tout du long... C'est pratique, au niveau de la mise en scène (pas besoin de bouger sa caméra pour filmer une huître) mais sa posture, bouche ouverte, finirait presque par taper sur les nerfs (mais putain, bouge-toi nom de Dieu !!!) s'il n'y avait la musique d'Herrmann pour nous les adoucir. L'idée de la faire chanter comme Florent Pagny dans l'Ambassade pour alerter son fils est aussi un peu tirée par les cheveux. C'est dommage que ce personnage soit, dans le fond et dans la forme un tel maillon faible, tant il y a des motifs de réjouissance dans cette œuvre chamarrée qui avance, qui progresse avec une maestria... symphonique. Un bouddha en lévitation mais pas encore au nirvana. (Shang - 04/11/19)
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