Le Secret de Brokeback Moutain (Brokeback Mountain) d'Ang Lee - 2004
Face à la perplexité de mon alter-ego asiatique devant ce film, je suis retourné le voir, après une première vision pleine de bienveillance. J'ai aucun mérite, hein, c'est le "Printemps du Cinéma", la séance à 3,50 euros (15 DVD en Chine), ce qui, entre parenthèses, semble les autoriser à ne pas chauffer les salles, j'ai plus de doigts.
Bon, c'est vrai qu'avec 2 visions, on voit les défauts : oui, la musique est sirupeuse (le type qui a composé ça s'appelle, je crois, Santaolalla -la Sainte Olalla- et c'est effectivement ce qu'on se dit en écoutant ses violons); oui, les méchants sont un peu trop (on les repère à leur poids : moins de 300 livres, tu es un gentil) ; oui, c'est tire-larmes ; oui, c'est un chouille long et un peu trop poli.
Mais je reste bluffé par ce côté très modeste de la mise en scène, un aspect artisanal eastwoodo-altmanien (si, si) qui est assez rare dans ce genre de cinéma, et surtout inattendu venant de l'auteur du boursoufflé Hulk. Le sujet, tourné par un type moins subtil, aurait pu donner une merde pleine de guimauve : ici, toutes les difficultés de la chose sont abordées sereinement, sans crânerie, simplement. Avoir fait un tel film en évitant soigneusement d'en faire une thèse sur "l'homosexualité en milieu hostile", c'est malin et intelligent. Les faits sont filmés, simplement et frontalement, sans jamais qu'on se dise : "voilà un film pour les bonnes consciences de gauche, les lecteurs de Télérama et les dames patronnesses". La polémique, Ang Lee vous la met quelque part, ça n'est pas son sujet. Le sujet serait plutôt à chercher dans des films à la The Right Stuff (beau film de Philip Kaufman dans les années 80) ou à la Space Cow-boys (bon Eastwood sous-estimé) : la fin d'un monde, le délitement d'une société, son impossibilité à s'adapter au progrès. Plein de plans évoquent le choc des deux cultures que sont le western (campagne, chaleur, virilité, solitude, violence, action) et les années 60 (voitures neuves, émancipation de la femme, ville, mariage, divorce). Ce ne sont pas les deux homos qui font anachronisme dans l'image, ce sont les chevaux, les chapeaux de cow-boys, les rodéos. C'est très bien vu et c'est surtout moderne au vu de l'état du cinéma américain contemporain, où l'action et la virilité sont de retour.
Ajoutons aussi que c'est magnifiquement joué et très bien photographié. Voilà , un petit film mineur, certes, mais comme devraient l'être nombre de films qui se prennent trop au sérieux.