Passion de Jean-Luc Godard - 1982
Mon éminent homologue chinois m'avait prédit le film le plus chiant de Jean-Luc Godard, alors bien sûr je me suis précipité dessus. Eh bien je crois que nous ne serons jamais d'accord sur Godard.
D'abord, 2, 3 mises au point, puisque les producteurs trouvent de l'argent pour financer Besson et plus Godard, puisque les gens vont voir Les Choristes en masse et personne ne va voir Forever Mozart. Non, Godard n'est pas un cinéaste intello, mais un artiste charnel, dont les films sont faits de sensibilité ; non, Godard n'est pas un ermite spartiate, mais un homme plein d'humour, de légèreté, d'amour de la vie ; non, les meilleurs films de Godard ne sont pas ses premiers (j'aime beaucoup A bout de souffle ou Pierrot le Fou, hein, mais plus comme des films de jeunesse attendrissants), mais Histoire(s) du cinéma, Prénom Carmen, Eloge de l'Amour ou... Passion.
Donc : Passion... Quelle est la spécificité du cinéma sur les autres Arts (littérature, musique, peinture)? Pas la supériorité ni l'infériorité, la spécificité. Au milieu d'images de peinture, au milieu des musiques de Mozart ou de Beethoven, la trivialité de la présence d'une équipe de tournage va virer au cauchemar pour le réalisateur. Quoi dire? Quoi montrer? Pourquoi faire du cinéma? On pourrait citer tous les plans, toutes les répliques, toujours drôles (c'est de l'humour, il faut finir par admettre ça chez Godard), toujours sensibles. Allez, une, au pif : "-Parfois j'ai du mal à te comprendre / -Parfois, il ne faut pas comprendre. Juste prendre / Silence / -Prends-moi. Dans tes bras" (je cite de mémoire). Le monde est vulgaire, alors que l'art ne l'est pas (monter une scène de sodomie avec un tableau de Rembrandt, qui aujourd'hui a ce courage ?). Et l'art lui-même est vulgaire par rapport aux difficultés du travail, de la vie, etc. Le débat s'élargit à la politique, mais de façon beaucoup plus subtile que dans les années 70 (période, je veux bien le reconnaître, un peu chiante dans la carrière de JLG).
Il y a Piccoli qui tousse tout le long du film alors qu'il ne fume que des fleurs (je pense définitivement que Piccoli est l'acteur godardien par excellence, léger, enfantin, sans limite) ; il y a une mystérieuse phrase que personne ne peut prononcer (même Huppert, qui joue une bègue!) ; il y a cette récurrence très drôle : "Raconte-nous une histoire !" (eh non, le cinéma, ce n'est pas raconter des histoires) ; il y a quelques gros plans sublimissimes sur des visages d'actrice (notamment un sur Huppert, qui m'a fait mourir de rire par son insolence), et des lumières incroyables ; il y a des mots qui s'entrechoquent, des images qui se mêlent, des émotions qui se brouillent ; il y a des bruits de klaxon ou de pots d'échappement sur le Requiem de Mozart ; il y a la vie qui bat là-dedans, tout simplement. Passion est immense, ami chinois, repasse-le et ne réfléchis pas !
Comme je le dis souvent dans mes conférences, et quitte à être snob : avant, Godard faisait des films; maintenant, il fait du cinéma.
God-Art 1970-2023 le culte : clique
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